Mémoire à l’OCDE : remises de fidélité

Le 14 juin 2016

Résumé

Le Bureau de la concurrence du Canada (le Bureau) est un organisme d’application de la loi indépendant chargé d’assurer et de contrôler l’application de la Loi sur la concurrence (la Loi). Le Bureau a pour hypothèse de travail fondamentale que la concurrence est profitable tant pour les entreprises que pour les consommateurs.

Le Bureau n’a pas de présomptions particulières concernant les remises de fidélité compte tenu des effets concurrentiels incertains de tels programmes. Au titre de certaines dispositions civiles de la Loi qui visent les pratiques restrictives du commerce, notamment les dispositions relatives à l’exclusivité et à l’abus de position dominante, le Bureau peut mener une enquête sur les remises de fidélité qui créent, préservent ou augmentent la puissance commerciale d’une entreprise en instaurant des entraves à la participation accrue ou à l’entrée dans un marché ou en les renforçant. Selon les circonstances factuelles propres à chaque affaire, le Bureau adopte différentes méthodes pour évaluer les conditions nécessaires en vertu des dispositions législatives pertinentes.

Il y a peu de jurisprudence canadienne sur les remises de fidélité; cela dit, dans les cas où les éléments de preuve sont suffisants pour conclure qu’une remise de fidélité pourrait constituer une violation de la Loi, le Bureau a toujours réagi en prenant les mesures qui s’imposaient, et il continuera de le faire.

I. Introduction

Le Bureau de la concurrence du Canada (le Bureau) est heureux de présenter le présent mémoire au Comité de la concurrence de l’OCDE en vue de la table ronde sur les remises de fidélité, qui aura lieu du 15 au 17 juin 2016. Le Bureau est un organisme d’application de la loi indépendant dirigé par le commissaire de la concurrence (le commissaire). Il est chargé d’assurer et de contrôler l’application de la Loi sur la concurrenceFootnote 1 (la Loi) et d’autres lois pertinentesFootnote 2. Dans l’exercice du rôle qui lui est conféré par la loi, le Bureau veille à ce que les entreprises et les consommateurs canadiens prospèrent dans un marché concurrentiel et innovateur.

Le présent mémoire donne un aperçu de l’expérience d’enquête du Bureau en ce qui a trait aux présumés programmes de remise de fidélité anti‑concurrentiels. Le mémoire présente :

  1. une mise en contexte, notamment quant à la terminologie et aux présomptions relatives aux effets concurrentiels des remises de fidélité;
  2. le cadre d’analyse applicable aux remises de fidélité, y compris les dispositions législatives pertinentes, le cadre d’analyse économique et les affaires où il a été question de remises de fidélité;
  3. les considérations stratégiques qui aident le Bureau à déterminer l’ordre de priorité des enquêtes.

II. Contexte des enquêtes sur les remises de fidélité

a. Terminologie

Pour appliquer la Loi, le Bureau évalue les allégations au cas par cas en tenant compte de la structure, des faits et des caractéristiques propres au marché en cause. Si la Loi ne définit pas expressément le terme « remise de fidélité » ni aucune autre forme de remise fondée sur la portion des besoins satisfaitsFootnote 3, le Bureau peut enquêter sur les effets anti concurrentiels présumés de ces programmes, et il le fait en vertu de certaines dispositions civiles de la Loi. Sauf indication contraire, le terme « remise de fidélité » s’entend dans le présent document des programmes par lesquels les vendeurs offrent aux acheteurs une remise ou un rabais subordonné à la loyauté que démontre l’acheteur par ses achats.

b. Présomptions quant aux effets concurrentiels

Le Bureau n’a pas de présomptions particulières concernant les remises de fidélité compte tenu des effets concurrentiels incertains de tels programmes. Le Bureau a pour hypothèse de travail fondamentale que la concurrence est profitable tant pour les entreprises que pour les consommateurs, et il ne s’intéresse généralement pas aux comportements qui encouragent les concurrents à se livrer entre eux une concurrence plus efficace. Cela dit, le comportement qui crée, préserve ou augmente la puissance commerciale d’une entreprise instaurant des entraves à la participation accrue ou à l’entrée dans un marché ou en les renforçant, et qui rend ainsi la tâche plus difficile aux concurrents existants ou potentiels qui voudraient contrer l’exercice de la puissance commerciale de cette entreprise, peut donner lieu à une enquête plus poussée.

La position du Bureau au regard des remises de fidélité tient compte du fait que ce genre de programme peut être considéré comme une forme légitime de concurrence par les prix. Le Bureau est d’avis que les remises de fidélité sont courantes et qu’elles peuvent favoriser la concurrence dans certaines circonstances. Par exemple, le Bureau a fait valoir par le passé que les remises de fidélité pouvaient favoriser la concurrence dans les cas suivants :

  1. elles offrent des avantages aux clients sous la forme de baisses de prix;
  2. elles génèrent des gains d’efficience, par exemple en encourageant les fournisseurs à investir dans le marketing et la mise au point de nouveaux produits, et en encourageant les distributeurs à consacrer des efforts à la promotion des produits des fournisseurs. Ces activités peuvent mener à un accroissement de la concurrence intermarques Footnote 4.

Dans d’autres circonstances, les remises de fidélité sont potentiellement anti concurrentielles. Par exemple, un fournisseur peut avoir recours aux remises de fidélité pour dissuader les acheteurs de traiter avec un fournisseur rival, ce qu’on observera si la remise du fournisseur est conditionnelle à ce que l’acheteur comble la plupart, voire la totalité, de ses besoins auprès de lui. Si un nombre suffisant d’acheteurs changent leur comportement d’achat en raison de la remise de fidélité, une bonne part du marché pertinent pourrait être soustraite au fournisseur rival, ce qui aurait pour effet d’augmenter les coûts de ce dernier (par exemple, si le concurrent doit renoncer à des économies d’échelle en raison d’une telle forclusion). En pareil cas, les remises de fidélité pourront faire l’objet d’un examen en vertu de la Loi.

III. Évaluation des effets concurrentiels des remises de fidélité

a. Cadre législatif

La Loi ne fait pas expressément référence aux remises de fidélité, pas plus qu’elle ne comprend de dispositions particulières à cet égard. Cela dit, les remises de fidélité sont susceptibles d’examen en vertu de certaines dispositions visant à empêcher les pratiques restrictives du commerce. En particulier, les remises de fidélité sont susceptibles d’examen en tant que forme d’exclusivité (conformément à l’article 77 de la Loi) ou en tant qu’abus de position dominante (conformément aux articles 78 et 79 de la Loi). Dans de nombreux cas, elles sont susceptibles d’examen en vertu des deux types de dispositions, lesquelles sont reproduites à l’annexe A du présent document.

i. Exclusivité — Article 77 de la Loi

La disposition relative à l’exclusivité a été adoptée pour tenir compte des situations où la pratique d’exclusivité « prive le marché de produits très demandés d’où la suppression possible de la concurrence nécessaire sur le marché en matière de prixFootnote 5 ». Aux termes de la Loi, l’exclusivité s’entend de la pratique qui incite ou force le client à « [faire], seulement ou à titre principal, le commerce de produits » d’un fournisseur donnéFootnote 6.

Pour qu’il y ait exclusivité au sens de la Loi, les conditions suivantes doivent être réunies :

  1. elle est pratiquée par un « fournisseur important »Footnote 7 ou elle est « très répandu[e] sur un marché »;
  2. elle fait obstacle à l’entrée ou au développement d’une firme sur un marché, elle fait obstacle au lancement d’un produit sur un marché ou à l’expansion des ventes d’un produit sur un marché, ou elle a sur un marché quelque autre effet tendant à exclure;
  3. elle a pour conséquence que la concurrence est ou sera vraisemblablement réduite sensiblementFootnote 8.

ii. Abus de position dominante — Articles 78 et 79 de la Loi

Les dispositions relatives à l’abus de position dominante empêchent les entreprises qui possèdent une puissance commerciale de se livrer à des agissements anti concurrentiels et favorisent des conditions dans lesquelles les entreprises se voient accorder une occasion de réussir ou d’échouer en fonction de leur capacité de faire concurrence. La Loi ne cherche pas à rendre égaux les concurrentsFootnote 9.

Pour conclure à un abus de position dominante contraire à la Loi, le commissaire doit démontrer que :

  1. une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises, ce qui revient à dire qu’elles ont une puissance commerciale dans le marché pertinent ou les marchés pertinents;
  2. cette personne ou ces personnes possédant une puissance commerciale se livrent ou se sont livrées à une pratique d’agissements anti concurrentiels;
  3. la pratique d’agissements anti concurrentiels a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marchéFootnote 10.

Si la Loi ne définit pas expressément ce qui constitue un agissement anti concurrentiel, elle fournit une liste non exhaustive d’agissements anti concurrentiels, à titre indicatifFootnote 11. Par ailleurs, les tribunaux ont défini l’agissement anti concurrentiel comme celui ayant, sur un concurrent, un effet intentionnel qui est abusif ou qui vise une exclusion ou une mise au pasFootnote 12. Ainsi, une pratique d’exclusivité peut être visée par les dispositions relatives à l’abus de position dominante.

iii. Analyse du cadre législatif

La Loi ne contient pas de dispositions particulières concernant les remises de fidélité ou autres pratiques d’escompte en général; ainsi, le cadre d’analyse des remises de fidélité, et les conditions devant être réunies, sont les mêmes que dans le cadre d’autres enquêtes menées en vertu des dispositions pertinentes. Il incombe au commissaire d’établir chacun des éléments prévus par les dispositions législatives. Comme il est analysé plus en détail ci après, l’entreprise doit présenter toute justification commerciale expliquant son agissement, y compris tout motif proconcurrentiel ou gain en efficience allégué, étant donné qu’elle possède l’information nécessaire pour évaluer les gains en efficience allégués.

Pour déterminer s’il mènera une enquête en vertu de la disposition relative à l’exclusivité, des dispositions relatives à l’abus de position dominante ou des deux types de dispositions, le Bureau tient entre autres compte des mesures correctives demandées. Par exemple, suivant la disposition relative à l’exclusivité, le Tribunal (tel qu’il est défini ci après) peut rendre une ordonnance de nature comportementale si elle est « nécessaire, à son avis, pour supprimer les effets [de la pratique] sur le marché en question ou pour y établir ou y favoriser la concurrence » (y compris interdire au fournisseur de pratiquer désormais l’exclusivité)Footnote 13. Cela dit, contrairement aux dispositions relatives à l’abus de position dominante, la disposition relative à l’exclusivité ne prévoit aucune sanction pécuniaire en cas de conclusions défavorables. Lorsque des sanctions pécuniaires sont demandées, la demande doit donc être présentée en vertu des dispositions relatives à l’abus de position dominanteFootnote 14.

Les tribunaux ont reconnu que les dispositions relatives à l’exclusivité et à l’abus de position dominante reposaient sur une structure et une logique parallèles. Premièrement, les deux types de dispositions exigent qu’il soit conclu que l’entreprise en question a une position dominante. Précisément, la disposition relative à l’exclusivité fait référence au « fournisseur important d’un produit sur un marché », tandis que les dispositions relatives à l’abus de position dominante exigent qu’« une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprisesFootnote 15 ». Deuxièmement, les deux types de dispositions exigent qu’il y ait un agissement anti‑concurrentielFootnote 16. Troisièmement, les deux types de dispositions exigent qu’il soit conclu que la concurrence a été ou sera vraisemblablement réduite sensiblementFootnote 17. Il convient toutefois de souligner que si une analyse chevauchante pourrait découler de cette structure parallèle, les critères juridiques applicables en vertu de ces deux types de dispositions ne donneront pas nécessairement des résultats identiques dans toutes les circonstances de faitFootnote 18. Compte tenu des similitudes entre les dispositions concernant l’exclusivité et l’abus de position dominante, sachant que les remises de fidélité peuvent avoir des effets d’exclusion sur un concurrent, il est possible de présenter une demande en invoquant ces deux types de dispositions prévues par la Loi. C’est la voie qu’a empruntée le Bureau dans les affaires précédentes où il était question de remises de fidélité.

b. Cadre d’analyse économique des pratiques d’exclusion

Les pratiques d’exclusion sont conçues pour :

  1. rendre les concurrents actuels ou potentiels moins efficaces à empêcher l’exercice de la puissance commerciale d’une entreprise;
  2. pour empêcher ceux‑ci d’entrer dans le marché;
  3. pour les en exclure complètement. Souvent, ces objectifs sont atteints en faisant grimper les coûts des concurrentsFootnote 19.

Dans le cadre de son analyse, le Bureau peut examiner si le programme de remise de fidélité d’une entreprise augmente les coûts du concurrent et que, pour cette raison, le concurrent doit augmenter ses prix, n’est plus en mesure de livrer une concurrence ou est exclu du marché. Par exemple, les remises de fidélité qui augmentent les coûts de changement de fournisseur au point tel que les concurrents peinent à attirer de nouveaux clients peuvent constituer une pratique d’exclusionFootnote 20.

Les remises de fidélité peuvent également permettre à l’entreprise qui les offre de maintenir ou d’accroître ses prix de façon rentable si les coûts de ces remises sont compensés par l’accroissement de ses revenus ou par le maintien des revenus qu’elle aurait par ailleurs perdus par suite de l’entrée de concurrents sur le marché ou du développement de ses concurrentsFootnote 21.

c. Jurisprudence

Au Canada, les litiges relevant du droit de la concurrence sont entendus par le Tribunal de la concurrence (le Tribunal), un organe d’arbitrage fédéral spécialisé créé par la loi, indépendant du Bureau. Le Tribunal se compose de membres judiciaires ainsi que d’autres membres qui mettent à contribution leurs connaissances spécialisées des affaires publiques, économiques, commerciales ou industriellesFootnote 22. Le Tribunal a compétence exclusive pour instruire et trancher les affaires en vertu de la partie VIII de la Loi, Affaires que le Tribunal peut examiner. Les appels des décisions du Tribunal sont interjetés auprès de la Cour d’appel fédérale, un tribunal d’appel qui instruit les affaires portant sur des questions de compétence fédéraleFootnote 23.

Il y a peu de jurisprudence canadienne sur les remises de fidélité. L’affaire Tuyauteries Canada (qui est abordée plus en détail ci‑après)Footnote 24 est la seule qu’a instruite le Tribunal concernant les remises de fidélité au cours de la dernière décennie. Il existe toutefois deux autres affaires où il a été question des programmes de remise de fidélité : NutraSweetFootnote 25 et D&BFootnote 26. L’affaire D&B portait sur des remises de fidélité consenties par les acheteurs et, pour cette raison, n’est pas pertinente ici.

i. Tuyauteries Canada Ltée

Tuyauteries Canada vendait des produits d’évacuation et de ventilation en fonte à différents distributeurs du Canada, qui les revendaient ensuite à des entrepreneurs en vue de la réalisation de projets de construction. Tuyauteries Canada contrôlait présumément de 80 à 90 p. 100 du marché canadien des produits d’évacuation et de ventilation en fonte. Le programme de remise de fidélité en question, le programme des distributeurs stockistes, prévoyait des ristournes trimestrielles et annuelles en pourcentage que Tuyauteries Canada consentait aux distributeurs stockant uniquement les produits d’évacuation et de ventilation en fonte qu’elle leur vendait. L’abattement consenti reposait sur l’exclusivité plutôt que sur le volume. Un volume d’achat minimum était imposé, mais une fois le seuil atteint, les abattements et les ristournes étaient les mêmes, peu importe les quantités achetées. Les distributeurs pouvaient cesser de participer au programme sans pénalité, si ce n’est qu’ils devaient désormais acheter leurs produits d’évacuation et de ventilation en fonte à des prix plus élevés (c’est à dire les prix avant abattement). Les distributeurs pouvaient stocker les produits d’évacuation et de ventilation d’autres entreprises qui n’étaient pas faits en fonte, mais ils devaient acheter exclusivement à Tuyauteries Canada les produits d’évacuation et de ventilation en fonte pour obtenir les abattementsFootnote 27.

La commissaire a déposé une demande auprès du Tribunal au motif que le programme des distributeurs stockistes constituait une pratique d’agissements anti concurrentiels en violation des dispositions relatives à l’exclusivité et à l’abus de position dominante. Selon la commissaire, le programme des distributeurs stockistes permettait à Tuyauteries Canada de pratiquer des prix supérieurs aux prix concurrentiels, de dissuader les concurrents de faire leur entrée ou de se développer dans les marchés pertinents, et persuader les distributeurs de s’y conformer, et ainsi d’exercer sa puissance commercialeFootnote 28.

En particulier, la commissaire était d’avis que [TRADUCTION] « l’exclusivité et l’obligation d’acheter la gamme de produits complète, conjuguées à la politique de prix [de Tuyauteries Canada], soit des prix unitaires moindres et des ristournes trimestrielles et annuelles offerts aux distributeurs stockistes, cré[aient] un obstacle insurmontable à l’entrée sur le marchéFootnote 29 ». Essentiellement, le programme des distributeurs stockistes incitait les distributeurs à acheter l’ensemble des produits d’évacuation et de ventilation en fonte de Tuyauteries Canada. Une fois que les distributeurs avaient adhéré au programme, le réseau de distribution se fermait aux autres fournisseurs, qui ne pouvaient plus livrer de concurrence marginale et se voyaient contraints de tenter de répondre à la totalité des besoins en produits d’évacuation et de ventilation en fonte des distributeurs. Le programme des distributeurs stockistes augmentait sensiblement les coûts à l’entrée, étant donné qu’il introduisait d’importants coûts de changement de fournisseur et qu’il forçait les nouveaux fournisseurs à offrir une gamme de produits complète et à compenser pour les abattements perdus des distributeurs dans l’éventualité où ceux ci cessaient d’acheter exclusivement les produits de Tuyauteries CanadaFootnote 30.

Pour étayer sa position, la commissaire a présenté des témoignages selon lesquels il n’y avait eu aucune entrée réelle et rentable dans les marchés pertinentsFootnote 31. Selon M. Thomas Ross, l’expert de la commissaire, le programme des distributeurs stockistes faisait en sorte qu’il était extrêmement coûteux pour un distributeur d’acheter une partie de ses produits d’évacuation et de ventilation en fonte auprès de Tuyauteries Canada et en partie auprès d’un fournisseur concurrentFootnote 32. Un fabriquant concurrent de produits d’évacuation et de ventilation en fonte, Vandem Industries, a fait valoir que [TRADUCTION] « la capacité d’un concurrent de [Tuyauteries Canada] de répondre à tous les besoins en tuyaux et raccords d’évacuation et de ventilation en fonte d’un distributeur […] est inexistante au CanadaFootnote 33 ». Sierra Marketing Inc., un importateur, a également témoigné des obstacles à la création d’un nouveau réseau de distributionFootnote 34.

Le Tribunal a conclu que Tuyauteries Canada, bien qu’ayant une position dominante dans les marchés pertinents, ne s’était pas livrée à une pratique d’agissements anti concurrentiels et que, dans bien des cas, le programme des distributeurs stockistes n’avait pas eu pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrenceFootnote 35. La commissaire a interjeté appel de la décision du Tribunal, et la Cour d’appel fédérale a conclu que le Tribunal avait commis une erreur dans son application des critères juridiques applicables suivant les dispositions relatives à l’exclusivité et à l’abus de position dominante, et elle a renvoyé l’affaire au Tribunal pour qu’il réexamine sa décision. La commissaire et Tuyauteries Canada ont négocié un règlement au moyen d’un consentement avant la nouvelle audience, de sorte que le Tribunal n’a pas eu à rendre de nouvelle décision en fonction du critère juridique présenté par la Cour d’appel fédérale.

ii. The NutraSweet Company

En 1989, le directeur des enquêtes et recherchesFootnote 36 (le directeur) a déposé une demande contre NutraSweet, un fournisseur d’aspartame qui contrôlait environ 95 p. 100 du marché canadien de ce produit. Les contrats d’approvisionnement conclus entre NutraSweet et les acheteurs d’aspartame comprenaient certaines clauses liées à l’exclusivité :

  1. des clauses d’approvisionnement exclusif exigeant du client qu’il achète tout l’aspartame dont il avait besoin de NutraSweet, et des clauses d’exploitation exclusive suivant lesquelles le client devait utiliser l’aspartame comme seul ou principal édulcorant dans ses produits;
  2. une déduction relative à l’apposition de la marque de commerce ou du logo, qui représentait un rabais important subordonné à l’utilisation, par l’acheteur, du logo et du nom NutraSuc sur ses emballages et dans les publicités faisant la promotion de ses propres produits. Pour utiliser le logo sur les emballages et dans les publicités, le client ne devait avoir utilisé que de l’aspartame de marque NutraSuc dans les produits en question;
  3. des clauses de prix concurrentiel ou de dédit accordant à NutraSweet la possibilité de vendre son produit au prix inférieur du concurrent ou de dégager le client de son obligation afin qu’il puisse acheter d’un autre fournisseur, ainsi que des clauses relatives à la nation la plus favorisée.

Le directeur a présenté deux allégations visant NutraSweet :

  1. les clauses de ses contrats créaient une relation d’approvisionnement exclusive limitant l’entrée de nouveaux concurrents ou le développement de concurrents existants, ce qui allait à l’encontre de la disposition relative à l’exclusivité;
  2. NutraSweet vendait son produit à un prix inférieur à son coût d’acquisition, ce qui constituait un agissement anti concurrentiel au sens des dispositions relatives à l’abus de position dominanteFootnote 37. Selon le directeur, les modalités des contrats d’approvisionnement monopolisaient un pourcentage élevé du marché, de sorte qu’il était difficile pour les concurrents d’y faire leur entrée, comme en témoignaient les obstacles rencontrés par les concurrents existants et éventuels qui avaient tenté de gagner des parts de marché aux dépens de NutraSweetFootnote 38.

Le directeur a fait valoir qu’à l’exception d’une entreprise, à savoir Tosoh Canada Ltd., tous les fournisseurs et fabricants qui avaient la capacité de produire et de commercialiser de l’aspartame au Canada avaient quitté le marché canadien et ne présentaient plus de soumissions en vue d’y fournir de l’aspartameFootnote 39. Le directeur a également présenté le témoignage d’un expert pour montrer qu’en raison des importants investissements financiers que les entreprises devaient réaliser pour tirer leur épingle du jeu sur le marché, notamment sous la forme de dépenses en marketing et en recherche et développement et de coûts de production (dont des coûts irrécupérables particulièrement élevés), l’entrée sur le marché était hasardeuse. La capacité de production de NutraSweet et les contrats d’approvisionnement à long terme qu’elle avait conclus avec de grands fabricants de boissons gazeuses sans sucre (les principaux clients sur le marché) rendaient également la tâche très difficile aux rivaux souhaitant occuper une part de marché suffisante pour soutenir une production industrielle efficiente avant que NutraSweet ne réagisseFootnote 40.

Le Tribunal a conclu que les clauses contractuelles attaquées étaient anti concurrentielles et que les incitations financières et la clause d’exclusivité constituaient une forme d’exclusivité. Même si les ventes n’étaient pas conditionnelles à ce que les clients fassent exclusivement affaire avec NutraSweet, les remises de fidélité incitaient financièrement les clients à utiliser exclusivement la marque d’aspartame de la défenderesse, et à éviter d’utiliser l’aspartame d’un autre producteur, ce qui créait une exclusivité faisant en sorte qu’il était presque impossible pour les concurrents d’entrer sur le marchéFootnote 41. Le Tribunal a conclu que la stratégie de promotion de l’image de marque en question avait été adoptée pour exclure la concurrence future ou existante et non pas pour des motifs d’efficacité de la distribution ou de l’utilisation du produit.

Par ailleurs, il a été conclu que la déduction relative à l’apposition du logo ou de la marque de commerce et à la commercialisation créait aussi une exclusivité parce que

  1. si l’acheteur décidait de ne pas utiliser exclusivement le produit de NutraSweet dans l'un de ses produits, il perdait la possibilité d’apposer le logo et donc ne pouvait avoir droit à la déduction, et
  2. si l’acheteur préférait ne pas apposer le logo NutraSuc, il était essentiellement contraint de combler tous ses besoins en aspartame auprès d’un autre fournisseur, étant donné les coûts désormais trop élevés d’un approvisionnement auprès de NutraSweet en l’absence de la déduction.

Les nouveaux fournisseurs devaient être suffisamment établis pour répondre à ces besoins, et les clients devaient accepter de s’approvisionner auprès de ces nouveaux fournisseurs. Par conséquent, le Tribunal a rendu une ordonnance interdisant à NutraSweet de mettre à exécution ou de conclure des contrats renfermant les clauses contestées visant des clients canadiens, à moins que de telles clauses ne fassent également partie de contrats conclus entre NutraSweet et tout concurrent de ces clients canadiensFootnote 42.

d. Examen du cadre d’analyse

Selon les circonstances factuelles propres à chaque affaire, le Bureau adopte différentes méthodes pour évaluer les conditions nécessaires conformément à la disposition relative à l’exclusivité et aux dispositions relatives à l’abus de position dominante. Dans le cadre de son analyse, le Bureau recueille généralement des éléments de preuve auprès de la partie visée par l’enquête et de tiers, en plus d’examiner les données publiques et de faire appel à des experts de l’industrie et à des spécialistes en économie.

i. Puissance commerciale

Le Bureau considère que la puissance commerciale, dans son sens général, correspond à la capacité de maintenir de manière rentable les prix au‑delà de leur niveau concurrentiel ou de maintenir d’autres facteurs de concurrence non liés aux prix en deçà de leur niveau concurrentiel, y compris la qualité, le choix, le service ou l’innovation, et ce, pendant une période prolongée (d’ordinaire un an)Footnote 43. Pour évaluer les effets concurrentiels d’un agissement unilatéral, le Bureau définit d’abord le produit pertinent et le ou les marchés géographiques, avant d’examiner les indicateurs directs et indirects de la puissance commerciale. Étant donné que les indicateurs directs de la puissance commerciale, comme la rentabilité ou l’imposition de prix supraconcurrentiels, ne sont pas toujours probants, le Bureau examine aussi des indicateurs indirects, tant qualitatifs que quantitatifs, pour évaluer la puissance commerciale :

  1. parts de marché;
  2. obstacles à l’entrée sur le marché;
  3. pouvoir compensateur des clients;
  4. changements technologiques et innovationFootnote 44.

Le Bureau tient également compte de la capacité des concurrents existants ou éventuels de répondre à l’exercice d’une puissance commerciale ou de faire une entrée sur le marché en réponse à l’exercice d’une puissance commerciale par une entreprise dominante.

Jusqu’ici dans les affaires où des remises de fidélité étaient contestées, les parts de marchés de ces entreprises dominantes étaient considérables. Cela dit, le fait que les parts de marché ne soient pas importantes n’offre pas de refuge en soi, et il n’empêchera pas le commissaire d’enquêter sur des entreprises offrant des remises de fidélité anti concurrentiellesFootnote 45.

ii. Pratique d’agissements anti concurrentiels

Les dispositions relatives à l’exclusivité et à l’abus de position dominante exigent qu’il existe soit une pratique d’exclusivité soit une pratique d’agissements anti concurrentiels. Même si une « pratique » sous entend normalement davantage qu’un agissement isolé, un tel agissement peut être considéré comme une pratique s’il est prolongé et systémique ou s’il a eu ou a encore un effet durable sur un marchéFootnote 46.

Le sens et l’interprétation des termes « exclusivité » et « agissements anti concurrentiels » ont été abordés plus en détail précédemment, aux sections III.a.i et III.a.ii, respectivement.

1. Rôle des justifications commerciales

Comme il est mentionné précédemment, les tribunaux ont établi qu’aux fins de l’analyse reposant sur l’article 79, l’agissement anti concurrentiel est celui ayant, sur un concurrent, un effet intentionnel qui est abusif ou qui vise une exclusion ou une mise au pas. Les justifications commerciales légitimes du comportement sont l’un des aspects qu’il convient de prendre en considération pour évaluer le caractère général ou l’objectif principal de l’agissement, au même titre que les objectifs réels ou raisonnablement prévisibles des effets et que la présence d’une intention subjective. Selon la Cour d’appel fédérale dans Tuyauteries Canada :

« Si le contexte s’y prête, la preuve d’une justification commerciale valable du comportement en cause peut l’emporter sur l’intention réputée découlant des effets réels ou prévisibles de ce comportement, en montrant que ces effets anti concurrentiels ne constituent pas en fait l’objet prépondérant dudit comportement. Essentiellement, la justification commerciale valable forme une autre explication possible des motifs du comportement attaqué. Pour être pertinente dans le contexte de l’alinéa 79(1)b), la justification commerciale doit être une raison fondée sur l’efficience ou proconcurrentielle du comportement en question, raison attribuable au défendeur, qui se rapporte aux effets anti concurrentiels et/ou à l’intention subjective de ce comportement et leur fait contrepoidsFootnote 47. » (Non souligné dans l’original.)

Selon la Cour d’appel fédérale, la doctrine de la justification commerciale n’offre pas de défense absolue à un agissement par ailleurs anti concurrentielFootnote 48. Il s’agit plutôt d’un des facteurs à prendre en considération pour évaluer la nature de l’agissement anti concurrentiel allégué :

« La justification commerciale d’une pratique attaquée ne peut être prise en considération que dans la mesure où elle est pertinente et probante par rapport à la décision qu’exige l’alinéa 79(1)b), soit celle du point de savoir si le comportement attaqué avait pour but un effet négatif sur un concurrent, effet qui doit être abusif, ou viser une exclusion ou une mise au pas. Comme je l’ai expliqué plus haut dans l’analyse de l’aspect relatif à l’intention du critère applicable à l’alinéa 79(1)b), une justification commerciale valable peut, si le contexte le permet, l’emporter sur l’intention réputée découlant des effets négatifs, réels ou prévisibles, du comportement attaqué sur les concurrents, en démontrant que ces effets anti concurrentiels ne sont pas en fait le but prédominant de ce comportementFootnote 49. »

Dans son évaluation de l’objectif prépondérant d’une pratique anti concurrentielle alléguée, le Bureau examine la crédibilité des justifications commerciales invoquées par l’entreprise, leur relation avec la pratique attaquée et la probabilité que l’objectif de gains en efficience ou que l’objectif proconcurrentiel se concrétise. À cet effet, le Bureau aura généralement besoin de renseignements détaillés et exhaustifs corroborant les gains en efficience allégués, y compris des éléments de preuve concernant la nature, l’ampleur, la vraisemblance et les délais de réalisation des gains allégués, et les raisons pour lesquelles ceux ci ne se concrétiseront vraisemblablement pas dans l’éventualité d’une ordonnance du Tribunal.

Chacun des gains en efficience allégués doit être évalué en tenant compte de la nature des ordonnances éventuelles (p. ex. ordonnance interdisant le programme de remise de fidélité) afin de déterminer s’ils pourraient être réalisés par d’autres moyens dans l’éventualité où ces ordonnances étaient rendues. Les gains en efficience non touchés par une éventuelle ordonnance ne sont pas pris en considération aux fins de cette analyse. Selon les circonstances, les objectifs commerciaux légitimes peuvent comprendre les coûts de production ou d’exploitation de l’entreprise, les améliorations technologiques et les améliorations des procédés de fabrication qui donneront lieu à des innovations ou à l’amélioration de la qualité d’un produit ou du serviceFootnote 50.

Dans l’affaire Tuyauteries Canada, le Tribunal s’est penché sur deux justifications commerciales avancées par Tuyauteries Canada :

  1. la structure des abattements du programme des distributeurs stockistes favorisait la concurrence en égalisant les chances pour les petits et les grands distributeurs, étant donné que les abattements étaient fondés sur la fidélité et non sur le volume;
  2. le programme des distributeurs stockistes rendait possible les ventes en grandes quantités dont l’entreprise avait besoin pour maintenir une gamme de produits complète. Le Tribunal a rejeté la première justification commerciale (il reconnaissait que l’argument présenté correspondait à un objet explicite de la Loi, mais il estimait que l’objet n’était pas pertinent dans le cadre de son analyse) et il a accepté la seconde justification commerciale au motif que le programme permettait à l’entreprise de fabriquer une gamme de produits complète. La Cour d’appel fédérale a rejeté les conclusions du Tribunal relativement aux justifications commerciales, soulignant que même si le maintien d’une gamme de produits complète présente des avantages pour les consommateurs, « l’accroissement du bien être des consommateurs ne suffit pas à lui seul à démontrer le caractère valable d’une justification commerciale » en vue de déterminer si l’entreprise dominante se livre à une pratique d’agissements anti concurrentielsFootnote 51.

iii. Réduction sensible de la concurrence

Pour évaluer si le marché pertinent serait sensiblement plus concurrentiel en l’absence du comportement anti concurrentiel attaqué, il y a lieu de faire une analyse comparative relative de la compétitivité dans un marché selon que la pratique attaquée d’agissements anti concurrentiels est présente ou non, puis de déterminer si la concurrence est empêchée ou diminuée « sensiblement », en supposant qu’elle le soit un tant soit peuFootnote 52. L'un des critères adoptés par la Cour d’appel fédérale est celui de l’absence hypothétique, qui consiste à se demander si « les marchés pertinents auraient été, ou seraient actuellement ou dans l’avenir, sensiblement plus concurrentiels en l’absence de la pratique attaquée d’agissements anti concurrentielsFootnote 53 ». Parmi les facteurs à prendre en considération figurent les questions de savoir :

  1. si l’entrée ou le développement de concurrents pourrait se révéler sensiblement plus rapide, plus fréquent ou plus important en l’absence de l’agissement attaqué;
  2. si le changement de produits et de fournisseurs pourrait être sensiblement plus fréquent;
  3. si les prix pourraient être sensiblement plus bas;
  4. si la qualité des produits pourrait être sensiblement supérieureFootnote 54.

IV. Considérations stratégiques qui aident le bureau à déterminer l'ordre de priorité des enquêtes

En règle générale, ce sont les plaintes déposées par les parties — personnes physiques ou entreprises — qui amènent le Bureau à lancer des enquêtes et à prendre des mesures d’application en vertu des dispositions de la Loi. Cela dit, le Bureau peut également décider de mener une enquête après avoir pris connaissance par d’autres moyens de problèmes potentiels liés à la concurrence.

Une évaluation préliminaire a généralement lieu avant que soit lancée une enquête. Dans le cadre de cette évaluation, le Bureau se demande si l’agissement allégué pourrait constituer une infraction à la Loi, entre autres. Si la préoccupation est fondée, le Bureau pourra décider d’enquêter. La décision du Bureau de mener une enquête et l’ordre de priorité à accorder aux enquêtes visant certains agissements reposent sur différents facteurs, dont

  1. le processus de planification stratégique du Bureau, et
  2. l’incidence vraisemblable du comportement anti concurrentiel allégué, en accordant la priorité aux agissements ayant une incidence négative importante sur la concurrence dans le marché canadien.

Le processus de planification stratégique du Bureau comprend une analyse de l’environnement visant à cerner les tendances, les occasions et les risques liés à l’application des lois en matière de concurrence. Les conclusions de cette analyse permettent au Bureau de mieux définir ses priorités et objectifs pour l’année à venir, lesquels sont énoncés dans son plan annuel à l’intention des consommateurs canadiens et des intervenants des milieux des affaires et du droit. Par exemple, à l’heure actuelle, le Bureau s’intéresse particulièrement au soutien de l’innovation dans l’économie numérique. Le Bureau publie également un plan stratégique triennal qui vise à orienter ses activités à long terme sur le plan opérationnel et également en ce qui a trait à l’application de la loiFootnote 55. Ainsi, le Bureau décidera généralement de mener une enquête si elle cadre avec ses priorités et sa vision stratégique, plutôt que de se concentrer sur des catégories de produits en particulier (p. ex. les remises de fidélité).

La Bureau n’a pas pour pratique courante de faire des évaluations a posteriori des affaires. Cela dit, il procède actuellement à un examen de ses méthodes de mesure du rendement en vue de rendre compte plus efficacement de l’incidence de ses activités.

V. Conclusion

Le Bureau s’acquitte activement de son mandat consistant à assurer et à contrôler l’application de la Loi. Dans les cas où les éléments de preuve sont suffisants pour conclure qu’un programme de remise de fidélité ou tout autre programme d’escompte pourrait constituer une violation de la Loi, il a toujours réagi en prenant les mesures d’exécution qui s’imposaient, et il continuera de le faire.

Annexe a dispositions pertinentes de la Loi sur la concurrence

Exclusivité, ventes liées et limitation du marché

Définitions

77 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

exclusivité

(a) Toute pratique par laquelle le fournisseur d’un produit exige d’un client, comme condition à ce qu’il lui fournisse ce produit, que ce client :

(i) soit fasse, seulement ou à titre principal, le commerce de produits fournis ou indiqués par le fournisseur ou la personne qu’il désigne,

(ii) soit s’abstienne de faire le commerce d’une catégorie ou sorte spécifiée de produits, sauf ceux qui sont fournis par le fournisseur ou la personne qu’il désigne;

(b) toute pratique par laquelle le fournisseur d’un produit incite un client à se conformer à une condition énoncée au sous‑alinéa a)(i) ou (ii) en offrant de lui fournir le produit selon des modalités et conditions plus favorables s’il convient de se conformer à une condition énoncée à l’un ou l’autre de ces sous‑alinéas. (exclusive dealing)

limitation du marché La pratique qui consiste, pour le fournisseur d’un produit, à exiger d’un client, comme condition à ce qu’il lui fournisse ce produit, que ce client fournisse lui‑même un produit quelconque uniquement sur un marché déterminé ou encore à exiger une pénalité de quelque sorte de ce client si ce dernier fournit un produit quelconque hors d’un marché déterminé. (market restriction)

ventes liées

(a) Toute pratique par laquelle le fournisseur d’un produit exige d’un client, comme condition à ce qu’il lui fournisse ce produit (le produit « clef »), que ce client :

(i) soit acquière du fournisseur ou de la personne que ce dernier désigne un quelconque autre produit,

(ii) soit s’abstienne d’utiliser ou de distribuer, avec le produit clef, un autre produit qui n’est pas d’une marque ou fabrication indiquée par le fournisseur ou la personne qu’il désigne;

(b) toute pratique par laquelle le fournisseur d’un produit incite un client à se conformer à une condition énoncée au sous‑alinéa a)(i) ou (ii) en offrant de lui fournir le produit clef selon des modalités et conditions plus favorables s’il convient de se conformer à une condition énoncée à l’un ou l’autre de ces sous‑alinéas. (tied selling)

Exclusivité ou ventes liées

(2) Lorsque le Tribunal, à la suite d’une demande du commissaire ou d’une personne autorisée en vertu de l’article 103.1, conclut que l’exclusivité ou les ventes liées, parce que pratiquées par un fournisseur important d’un produit sur un marché ou très répandues sur un marché, auront vraisemblablement :

(a) soit pour effet de faire obstacle à l’entrée ou au développement d’une firme sur un marché ;

(b) soit pour effet de faire obstacle au lancement d’un produit sur un marché ou à l’expansion des ventes d’un produit sur un marché ;

(c) soit sur un marché quelque autre effet tendant à exclure,

et qu’en conséquence la concurrence est ou sera vraisemblablement réduite sensiblement, le Tribunal peut, par ordonnance, interdire à l’ensemble ou à l’un quelconque des fournisseurs contre lesquels une ordonnance est demandée de pratiquer désormais l’exclusivité ou les ventes liées et prescrire toute autre mesure nécessaire, à son avis, pour supprimer les effets de ces activités sur le marché en question ou pour y rétablir ou y favoriser la concurrence.

Limitation du marché

(3) Lorsque le Tribunal, à la suite d’une demande du commissaire ou d’une personne autorisée en vertu de l’article 103.1, conclut que la limitation du marché, en étant pratiquée par un important fournisseur d’un produit ou très répandue à l’égard d’un produit, réduira vraisemblablement et sensiblement la concurrence à l’égard de ce produit, le Tribunal peut, par ordonnance, interdire à l’ensemble ou à l’un quelconque des fournisseurs contre lesquels une ordonnance est demandée de se livrer désormais à la limitation du marché et prescrire toute autre mesure nécessaire, à son avis, pour rétablir ou favoriser la concurrence à l’égard de ce produit.

Dommages‑intérêts

(3.1) Il demeure entendu que le présent article n’autorise pas le Tribunal à accorder des dommages‑intérêts à la personne à laquelle une permission est accordée en vertu du paragraphe 103.1(7).

Cas où il ne doit pas être rendu d’ordonnance; restriction quant à l’application de l’ordonnance

(4) Le Tribunal ne rend pas l’ordonnance prévue par le présent article, lorsque, à son avis :

(a) l’exclusivité ou la limitation du marché est ou sera pratiquée uniquement pendant une période raisonnable pour faciliter l’entrée sur un marché soit d’un nouveau fournisseur d’un produit soit d’un nouveau produit ;

(b) les ventes liées qui sont pratiquées sont raisonnables compte tenu de la connexité technologique existant entre les produits qu’elles visent;

(c) les ventes liées que pratique une personne exploitant une entreprise de prêt d’argent ont pour objet de mieux garantir le remboursement des prêts qu’elle consent et sont raisonnablement nécessaires à cette fin,

et, aucune ordonnance rendue en vertu du présent article ne s’applique en ce qui concerne l’exclusivité, la limitation du marché ou les ventes liées entre des personnes morales, des sociétés de personnes et des entreprises individuelles qui sont affiliées.

Cas où la personne morale, la société de personnes ou l’entreprise unipersonnelle est affiliée

(5) Pour l’application du paragraphe (4),

(a) une personne morale est affiliée à une autre personne morale si l’une d’elles est la filiale de l’autre, si toutes deux sont des filiales d’une même personne morale ou encore si chacune d’elles est contrôlée par la même personne;

(b) si deux personnes morales sont affiliées à la même personne morale au même moment, elles sont réputées être affiliées l’une à l’autre;

(c) une société de personnes ou une entreprise individuelle est affiliée à une autre société de personnes, à une autre entreprise individuelle ou à une personne morale si l’une et l’autre sont contrôlées par la même personne;

(d) une personne morale, société de personnes ou entreprise individuelle est affiliée à une autre personne morale, société de personnes ou entreprise individuelle en ce qui concerne tout accord entre elles par lequel l’une concède à l’autre le droit d’utiliser une marque ou un nom de commerce pour identifier les affaires du concessionnaire, à la condition :

(i) que ces affaires soient liées à la vente ou la distribution, conformément à un programme ou système de commercialisation prescrit en substance par le concédant, d’une multiplicité de produits obtenus de sources d’approvisionnement qui sont en concurrence et d’une multiplicité de fournisseurs,

(ii) qu’aucun produit ne soit primordial dans ces affaires.

Cas où les personnes sont réputées être affiliées

(6) Pour l’application du paragraphe (4) en ce qui concerne la limitation du marché, dans le cadre de tout accord par lequel une personne (la « première » personne) fournit ou fait fournir à une autre personne (la « seconde » personne) un ou des ingrédients que cette dernière transforme, après apport de travail et de matériaux, en aliments ou boissons qu’elle vend sous une marque de commerce appartenant à la première personne ou dont cette dernière est l’usager inscrit, ces deux personnes sont, à l’égard de cet accord, réputées être affiliées.

Application

(7) Le Tribunal saisi d’une demande présentée par une personne autorisée en vertu de l’article 103.1 ne peut tirer quelque conclusion que ce soit du fait que le commissaire a accompli un geste ou non à l’égard de l’objet de la demande.

Abus de position dominante

78 (1) Pour l’application de l’article 79, agissement anti‑concurrentiel s’entend notamment des agissements suivants :

(a) la compression, par un fournisseur intégré verticalement, de la marge bénéficiaire accessible à un client non intégré qui est en concurrence avec ce fournisseur, dans les cas où cette compression a pour but d’empêcher l’entrée ou la participation accrue du client dans un marché ou encore de faire obstacle à cette entrée ou à cette participation accrue;

(b) l’acquisition par un fournisseur d’un client qui serait par ailleurs accessible à un concurrent du fournisseur, ou l’acquisition par un client d’un fournisseur qui serait par ailleurs accessible à un concurrent du client, dans le but d’empêcher ce concurrent d’entrer dans un marché, dans le but de faire obstacle à cette entrée ou encore dans le but de l’éliminer d’un marché;

(c) la péréquation du fret en utilisant comme base l’établissement d’un concurrent dans le but d’empêcher son entrée dans un marché ou d’y faire obstacle ou encore de l’éliminer d’un marché;

(d) l’utilisation sélective et temporaire de marques de combat destinées à mettre au pas ou à éliminer un concurrent;

(e) la préemption d’installations ou de ressources rares nécessaires à un concurrent pour l’exploitation d’une entreprise, dans le but de retenir ces installations ou ces ressources hors d’un marché;

(f) l’achat de produits dans le but d’empêcher l’érosion des structures de prix existantes;

(g) l’adoption, pour des produits, de normes incompatibles avec les produits fabriqués par une autre personne et destinées à empêcher l’entrée de cette dernière dans un marché ou à l’éliminer d’un marché;

(h) le fait d’inciter un fournisseur à ne vendre uniquement ou principalement qu’à certains clients, ou à ne pas vendre à un concurrent ou encore le fait d’exiger l’une ou l’autre de ces attitudes de la part de ce fournisseur, afin d’empêcher l’entrée ou la participation accrue d’un concurrent dans un marché;

(i) le fait de vendre des articles à un prix inférieur au coût d’acquisition de ces articles dans le but de discipliner ou d’éliminer un concurrent.

(j) et k) [Abrogés, 2009, ch. 2, art. 427]

(2) [Abrogé, 2009, ch. 2, art. 427]

Ordonnance d’interdiction dans les cas d’abus de position dominante

79 (1) Lorsque, à la suite d’une demande du commissaire, il conclut à l’existence de la situation suivante :

(a) une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions ;

(b) cette personne ou ces personnes se livrent ou se sont livrées à une pratique d’agissements anti‑concurrentiels;

(c) la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché,

le Tribunal peut rendre une ordonnance interdisant à ces personnes ou à l’une ou l’autre d’entre elles de se livrer à une telle pratique.

Ordonnance supplémentaire ou substitutive

(2) Dans les cas où à la suite de la demande visée au paragraphe (1) il conclut qu’une pratique d’agissements anti‑concurrentiels a eu ou a pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché et qu’une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) n’aura vraisemblablement pas pour effet de rétablir la concurrence dans ce marché, le Tribunal peut, en sus ou au lieu de rendre l’ordonnance prévue au paragraphe (1), rendre une ordonnance enjoignant à l’une ou l’autre ou à l’ensemble des personnes visées par la demande d’ordonnance de prendre des mesures raisonnables et nécessaires dans le but d’enrayer les effets de la pratique sur le marché en question et, notamment, de se départir d’éléments d’actif ou d’actions.

Restriction

(3) Lorsque le Tribunal rend une ordonnance en application du paragraphe (2), il le fait aux conditions qui, à son avis, ne porteront atteinte aux droits de la personne visée par cette ordonnance ou à ceux des autres personnes touchées par cette ordonnance que dans la mesure de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objet de l’ordonnance.

Sanction administrative pécuniaire

(3.1) S’il rend une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2), le Tribunal peut aussi ordonner à la personne visée de payer, selon les modalités qu’il peut préciser, une sanction administrative pécuniaire maximale de 10 000 000 $ et, pour toute ordonnance subséquente rendue en vertu de l’un de ces paragraphes, de 15 000 000 $.

Facteurs à prendre en compte

(3.2) Pour la détermination du montant de la sanction administrative pécuniaire, il est tenu compte des éléments suivants :

(a) l’effet sur la concurrence dans le marché pertinent;

(b) le revenu brut provenant des ventes sur lesquelles la pratique a eu une incidence;

(c) les bénéfices réels ou prévus sur lesquels la pratique a eu une incidence;

(d) la situation financière de la personne visée par l’ordonnance;

(e) le comportement antérieur de la personne visée par l’ordonnance en ce qui a trait au respect de la présente loi ;

(f) tout autre élément pertinent.

But de la sanction

(3.3) La sanction prévue au paragraphe (3.1) vise à encourager la personne visée par l’ordonnance à adopter des pratiques compatibles avec les objectifs du présent article et non pas à la punir.

Efficience économique supérieure

(4) Pour l’application du paragraphe (1), lorsque le Tribunal décide de la question de savoir si une pratique a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché, il doit évaluer si la pratique résulte du rendement concurrentiel supérieur.

Exception

(5) Pour l’application du présent article, un agissement résultant du seul fait de l’exercice de quelque droit ou de la jouissance de quelque intérêt découlant de la Loi sur les brevets, de la Loi sur les dessins industriels, de la Loi sur le droit d’auteur, de la Loi sur les marques de commerce, de la Loi sur les topographies de circuits intégrés ou de toute autre loi fédérale relative à la propriété intellectuelle ou industrielle ne constitue pas un agissement anti‑concurrentiel.

Prescription

(6) Une demande ne peut pas être présentée en application du présent article à l’égard d’une pratique d’agissements anti‑concurrentiels si la pratique en question a cessé depuis plus de trois ans.

Procédures en vertu des articles 45, 49, 76, 90.1 ou 92

(7) Aucune demande à l’endroit d’une personne ne peut être présentée au titre du présent article si les faits au soutien de la demande sont les mêmes ou essentiellement les mêmes que ceux qui ont été allégués au soutien :

(a) d’une procédure engagée à l’endroit de cette personne en vertu des articles 45 ou 49;

(b) d’une ordonnance demandée par le commissaire à l’endroit de cette personne en vertu des articles 76, 90.1 ou 92.