Mémoire à l’OCDE : considérations d’intérêt public dans le cadre du contrôle des fusions

Le 14 juin 2016

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  1. Introduction
  2. Norme applicable à l’examen des fusions au Canada
  3. Considérations d’intérêt public dans le contrôle des fusions canadiennes
  4. Défense fondée sur les gains en efficience
  5. Conclusion

Résumé

Dans son examen des fusions en vertu de la Loi sur la concurrence (la « Loi »), le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») s’est intéressé à ce que le Secrétariat décrit comme le principal objectif économique du droit de la concurrence, à savoir la prise en compte des effets d’une fusion sur le bien être et l’efficience économiques. Le commissaire de la concurrence (le « commissaire ») est chargé d’assurer et de contrôler l’application de la Loi. Les instances judiciaires ont reconnu que le commissaire avait le devoir, dans le cadre de ses fonctions, d’agir de bonne foi dans l’exécution de son mandat de protéger l’intérêt public, tel que défini par la Loi. Ainsi, le commissaire assure le contrôle des dispositions relatives aux fusions de la Loi dans le respect du principe de protection de l’intérêt public sur lequel est fondé le droit de la concurrence. Toutefois, les considérations plus générales d’intérêt public sont prises en compte par d’autres organismes fédéraux ayant une compétence commune ou prépondérante relative à l’examen des fusions au Canada, conformément à leur législation et leur mandat respectifs. Ces examens portent sur l’acquisition de sociétés canadiennes par des intérêts étrangers et sur certains secteurs réglementés comme la finance, les transports, les télécommunications et la radiodiffusion.

Dans le cadre de l’examen des fusions, l’intérêt public général peut être pris en considération pour évaluer à la fois les effets de la transaction proposée et les gains en efficience que pourrait permettre de réaliser la transaction proposée. Par exemple, si l’innovation relative à un traitement ou à un médicament qui permet de sauver des vies pouvait être affectée négativement, l’intérêt public à pouvoir accéder à de tels traitements serait pris en compte dans l’évaluation des effets non liés aux prix de la transaction proposée et peut éclairer l’exercice du pouvoir discrétionnaire du commissaire de contester une transaction proposée. La Loi établit également une défense spécifique fondée sur les gains en efficience qui s’applique aux fusions qui pourrait être interprétée comme une source de certaines considérations d’intérêt public. D’une manière générale, la défense fondée sur les gains en efficience exige que le Tribunal de la concurrence autorise une fusion anticoncurrentielle qui peut être justifiée par des motifs d’efficienceFootnote 1. Le cadre unique du Canada pour la prise en compte des gains en efficience dans l’examen des fusions, à savoir l’analyse comparative prévue à l’article 96 de la Loi, a été établi en tenant compte des caractéristiques distinctives de l’économie canadienne (p. ex. sa taille relativement petite par rapport à d’autres pays) qui ont fait de l’efficience économique générale un objectif important de la politique canadienne en matière de concurrence. Alors que la défense fondée sur les gains en efficience n’est pas en soi un critère d’intérêt public, cette défense soulève des questions d’intérêt public parce que la Loi ne dit rien sur la façon dont les tribunaux devraient considérer la redistribution du revenu entre les consommateurs et les producteurs découlant d’une fusion anticoncurrentielle. La Loi exige cependant que les tribunaux (ainsi que le Bureau et les parties à la fusion invoquant cette défense) se penchent sur la norme de bien être approprié à appliquer pour déterminer si une fusion est contraire à la Loi.

Le présent mémoire s’intéresse d’abord au cadre canadien d’examen des fusions. Il décrit ensuite différents examens de l’intérêt public effectués dans le cadre du contrôle des fusions canadiennes et s’intéresse particulièrement à l’interaction entre les examens de l’intérêt public et l’application de la Loi dans le domaine de la concurrence. Enfin, il examine la défense fondée sur les gains en efficience au Canada, y compris les faits historiques pertinents et la jurisprudence canadienne concernant la norme de bien être appropriée à appliquer lors de l’examen des fusions.

A. Introduction

  1. Le Bureau de la concurrence du Canada (le « Bureau ») est heureux de déposer le présent mémoire dans le cadre de la table ronde du groupe de travail noo3 du Comité de la concurrence de l’OCDE sur les considérations d’intérêt public dans le contrôle des fusions. Dirigé par le commissaire de la concurrence (le « commissaire »), le Bureau est un organisme d’application de la loi indépendant chargé d’assurer et de contrôler l’application de la Loi sur la concurrence (la « LoiFootnote 2 ») et de quelques autres lois. Le Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») est un organisme juridictionnel distinct ayant la compétence pour instruire et trancher toute demande que lui présente le commissaire en application de certains articles de la Loi, y compris les demandes de fusion. Dans le cadre de son mandat, le Bureau s’emploie à ce que les entreprises et les consommateurs canadiens prospèrent dans un marché concurrentiel et innovateur.
  2. Outre les objectifs généraux de la politique en matière de concurrence, la Loi ne prévoit pas explicitement la prise en compte de considérations d’intérêt public dans le cadre des examens des fusions réalisés par le Bureau, mais ces considérations sont prises en compte dans le contrôle plus élargi des fusions canadiennes. Lorsque des considérations d’intérêt public sont soulevées lors de l’examen d’une fusion au Canada, elles sont étudiées par d’autres organismes selon le modèle de « double responsabilité » décrit dans le document d’information préparée pour la présente table ronde par le Secrétariat de l’OCDE. Les examens de l’intérêt public les plus courants au Canada concernent des acquisitions de sociétés canadiennes par des intérêts étrangers et dans certains secteurs réglementés. On peut aussi dire que des considérations d’intérêt public découlent du cadre unique du Canada pour étudier les gains en efficience des fusions. Plus particulièrement, le traitement de la redistribution du revenu (ou le transfert de richesse) découlant d’une fusion a des incidences qui pourraient être considérées comme des considérations d’intérêt public. Par exemple, si l’on détermine qu’il est dans l’intérêt public d’accorder un poids relatif plus important à l’incidence négative d’une fusion sur les consommateurs (c.‑à‑d. la perte de surplus du consommateur) qu’aux gains correspondants des producteurs (c.‑à‑d. les gains de surplus du producteur), il est plus probable qu’une défense fondée sur les gains en efficience échouera que si le transfert de richesse entre les consommateurs et les producteurs avait été considéré comme neutre. De plus, le cadre du Canada pour analyser les gains en efficience des fusions a été établi en tenant compte des caractéristiques distinctives de l’économie canadienne qui ont mis la promotion de l’efficience économique générale à l’avant‑plan des objectifs de la politique en matière de concurrence.
  3. Le Bureau emploie le même processus et la même norme dans ses examens des fusions, qu’elles soient ou non sujettes à l’examen d’un autre ministère ou organisme ayant un mandat différent. C’est d’ailleurs le cas lorsque l’examen du Bureau est effectué en même temps que celui d’un autre organisme ou lorsqu’un autre organisme demande au Bureau de donner son avis concernant les répercussions d’une fusion proposée sur la concurrence.

B. Norme applicable à l’examen des fusions au Canada

  1. La Direction des fusionsFootnote 3 du Bureau est chargée d’effectuer les examens des fusions conformément aux dispositions applicables en vertu de la partie VIII de la Loi. L’approche théorique suivie par le Bureau pour examiner les fusions est décrite dans son document Fusions — Lignes directrices pour l’application de la loiFootnote 4.
  2. Le critère juridique pour évaluer des fusions en vertu de la Loi est énoncé à l’article 92. Il y est indiqué que le Tribunal, à la suite d’une demande du commissaire, peut rendre une ordonnanceFootnote 5 pour dissoudre ou modifier une fusion lorsqu’il « conclut qu’un fusionnement réalisé ou proposé empêche ou diminue sensiblement la concurrence ». Le document Fusions — Lignes directrices pour l’application de la loi, qui est fondé sur des décisions juridiques pertinentes, explique plus en détail le critère juridique établi dans la Loi et indique qu’un « empêchement ou une diminution sensible de la concurrence ne peut résulter que d’une fusion ayant vraisemblablement pour effet de créer, de maintenir ou d’augmenter la capacité de l’entreprise fusionnée d’exercer, unilatéralement ou en coordination avec d’autres entreprises, un plus grand pouvoir de marché ». Les lignes directrices expliquent que les principaux facteurs retenus par le Bureau dans l’évaluation des effets d’une fusion sur la concurrence sont le prix et la production, mais que le Bureau évalue également les effets d’une fusion sur d’autres dimensions de la concurrence telles que la qualité, le choix dans les produits, le service et l’innovationFootnote 6.
  3. L’article 93 de la Loi présente une liste non exhaustive des facteurs à considérer dans l’évaluation d’une fusion en vertu de l’article 92. Ces facteurs comprennent des éléments standards de l’analyse générale de la concurrence réalisée dans la plupart des pays dont la concurrence restante, les entraves à l’accès au marché, l’élimination d’un concurrent dynamique et réel, la nature et la portée des changements et des innovations sur un marché pertinent ainsi que la déconfiture ou la déconfiture vraisemblable de l’entreprise ou d’une partie de l’entreprise d’une partie au fusionnement.
  4. Notamment, ni la Loi ni les lignes directrices du Bureau ne font spécifiquement référence à la prise en compte des facteurs d’intérêt public dans l’évaluation des fusions. Les facteurs traditionnellement considérés comme étant d’intérêt public dans le cadre de fusions, comme les questions relatives à la sécurité nationale, l’emploi, la diversité des médias et la politique industrielle, ne sont pas expressément établis comme des facteurs à considérer dans la Loi.
  5. Bien que la Loi exige que le Bureau se concentre sur les questions de concurrence essentielles touchant le bien être et l’efficacité économiques, les dispositions relatives aux fusions de la Loi prévoient des exceptions visant l’intérêt public. L’article 94 de la Loi vise deux industries, la finance et les transports, pour lesquelles les ministres fédéraux concernés peuvent exercer leurs compétences en lien avec une fusion proposée. Comme il en sera question plus loin, ces ministres demandent généralement l’avis du Bureau concernant des questions de concurrence et les mesures correctives potentielles, et ils tiennent compte de cet avis au moment de décider si la fusion est dans l’intérêt public. Contrairement au commissaire qui peut devoir plaider devant le Tribunal de la concurrence pour contester une fusion proposée, les ministres des Finances et des Transports ont pleine compétence et n’ont pas besoin d’une ordonnance d’un tribunal pour rejeter une fusion.
  6. En plus des exceptions prévues à l’article 94 de la Loi, d’autres organismes gouvernementaux peuvent réaliser des examens de l’intérêt public en même temps que l’examen du Bureau. Par exemple, les fusions qui déclenchent un examen en vertu de la Loi sur Investissement Canada (la « LICFootnote 7 ») concernent l’acquisition d’une société canadienne par des intérêts étrangers et sont évaluées en fonction du critère de « l’avantage net » qui prend en compte un vaste éventail de facteurs d’intérêt public abordés ci dessous, dont des facteurs liés à l’incidence potentielle sur la concurrence. De plus, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le « CRTC ») et le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économiqueFootnote 8 ont une compétence parallèle avec le Bureau pour examiner les fusions dans le secteur de la radiodiffusion.
  7. L’article 96 de la Loi, souvent appelé la « défense fondée sur les gains en efficience », crée un cadre pour que le Tribunal compare les gains en efficience qui seront vraisemblablement réalisés par une fusion avec les effets anticoncurrentiels qu’entraînera vraisemblablement la fusion si cette défense est invoquée par les parties à la fusion. Comme il en sera question plus loin, il a été proposé qu’il existe un aspect d’intérêt public dans l’interprétation de la défense fondée sur les gains en efficience qui concerne la norme de bien être appropriée à appliquerFootnote 9. La question de savoir qui devrait tirer avantage d’une fusion par ailleurs anticoncurrentielle et dans quelle proportion est complexe et a des répercussions plus larges sur la politique publique.

C. Considérations d’intérêt public dans le contrôle des fusions canadiennes

  1. Comme il a été mentionné ci dessus, les considérations d’intérêt public surgissent principalement lors des examens des fusions réalisés par d’autres ministères ou organismes. La présente section porte sur deux catégories générales de ce type d’examen : les examens des investissements étrangers, qui sont les examens de l’intérêt public les plus courants au Canada et qui sont généralement réalisés en même temps que les examens du Bureau, et les examens dans certains secteurs réglementés. Dans certains cas, comme lors de fusions dans les secteurs des transports et de la finance, les examens réalisés par les ministères fédéraux pertinents peuvent remplacer l’examen du Bureau ou s’y substituer si le ministre concerné l’exige conformément aux exceptions prévues dans la Loi. Dans d’autres cas, comme dans le secteur des télécommunications ou de la radiodiffusion, où une fusion est soumise à l’examen à la fois du Bureau et du CRTC ou du ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, les examens sont réalisés simultanément.

Examen des investissements étrangers

Les investissements étrangers au Canada qui dépassent certains seuils financiers font l’objet d’un examen en vertu de la LIC qui est entrée en vigueur en 1985 peu avant la Loi. Le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique (anciennement le ministre de l’Industrie) ou le ministre du Patrimoine canadien, selon le casFootnote 10, doit décider si la transaction en question constituera vraisemblablement un « avantage net » pour le Canada. Si le ministre n’est pas convaincu qu’un investissement constitue un avantage net, l’investisseur peut présenter des observations et prendre des engagements pour montrer l’avantage net de l’investissement. Si le ministre n’est toujours pas convaincu, l’investisseur ne sera pas autorisé à effectuer l’investissementFootnote 11.

  1. Les facteurs dont tient compte le ministre pour évaluer l’avantage net sont les suivantsFootnote 12 :
    1. l’effet de l’investissement sur le niveau et la nature de l’activité économique au Canada, notamment sur l’emploi, la transformation des ressources, l’utilisation de pièces et d’éléments produits et de services rendus au Canada et sur les exportations canadiennes;
    2. l’étendue et l’importance de la participation de Canadiens dans l’entreprise canadienne ou la nouvelle entreprise canadienne en question et dans le secteur industriel canadien dont cette entreprise ou cette nouvelle entreprise fait ou ferait partie;
    3. l’effet de l’investissement sur la productivité, le rendement industriel, le progrès technologique, la création de produits nouveaux et la diversité des produits au Canada;
    4. l’effet de l’investissement sur la concurrence dans un ou plusieurs secteurs industriels au Canada;
    5. la compatibilité de l’investissement avec les politiques nationales en matière industrielle, économique et culturelle;
    6. la contribution de l’investissement à la compétitivité canadienne sur les marchés mondiaux.
  2. La concurrence n’est que l’un des nombreux facteurs pris en compte pour déterminer si une transaction constitue un avantage net par le Canada en vertu de la LIC. Pour évaluer les facteurs relatifs à la concurrence, le ministre consulte le Bureau. Dans ces cas, le Bureau donne un avis au ministre qui en tiendra compte dans son évaluation de l’avantage net. Il convient de noter que le Bureau conserve aussi sa compétence en cette matière et peut saisir le tribunal même si l’investissement fait aussi l’objet d’un examen en vertu de la LIC.
  3. L’offre faite par BHP Billiton pour acquérir Canada Potash Corporation en 2010 est un exemple de tentative d’acquisition étrangère qui a fait l’objet d’un examen concomitant de la part du Bureau et en vertu de la LIC. L’offre a suscité une vive attention des médias et capté l’intérêt de différents intervenants et gouvernements concernés. À la suite de son examen réalisé à la fin de 2010, le ministre de l’Industrie a annoncé que la vente ne serait pas autorisée parce qu’elle ne procurerait pas un avantage net pour le Canada. Le ministre a conclu que la prise de contrôle proposée ne satisfaisait pas à la norme relative à l’avantage net selon trois des six critères établis dans la Loi : la compétitivité canadienne sur les marchés mondiaux; la productivité, le rendement industriel et l’innovation au Canada; et le niveau général de l’activité économique du paysFootnote 13. Après un examen rigoureux, le Bureau a conclu peu après que la transaction n’aurait pas pour effet de diminuer sensiblement ou d’empêcher la concurrence et a envoyé une lettre de non intervention aux parties. BHP Billiton aurait pu présenter d’autres d’observations ou prendre d’autres engagements pour obtenir l’approbation de la transaction par le ministre, mais elle s’est abstenue de le faire et a plutôt retiré officiellement son offre.
  4. La LIC confère au gouvernement du Canada le pouvoir d’examiner tout investissement étranger qui, selon lui, pourrait porter atteinte à la sécurité nationale. Ce concept d’examen distinct lié à la sécurité nationale a été ajouté à la LIC en 2009. À la suite d’un examen réalisé par le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique en consultation avec le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le gouverneur en conseil agissant sur l’avis du Cabinet a le pouvoir de « prendre toute mesure relative à l’investissement qu’il estime indiquée pour préserver la sécurité nationaleFootnote 14 ».

Examen des fusions dans certains secteurs

Exceptions en vertu de l’article 94 — finance et transports

  1. Le ministre des Transports et le ministre des Finances ont tous deux compétence pour examiner certains fusionnements dans leurs secteurs respectifs pour des motifs d’intérêt public. À la différence des examens effectués à l’égard des investissements étrangers, la Loi autorise directement ces ministres à outrepasser la compétence du Tribunal (et donc celle du Bureau) dans certains cas, tel qu’il est énoncé à l’article 94 de la Loi.
  1. L’article 94 de la Loi précise que « le Tribunal ne rend pas une ordonnance en vertu de l’article 92 à l’égard…
    1. d’une fusion réalisée ou proposée aux termes de la Loi sur les banques, de la Loi sur les associations coopératives de crédit, de la Loi sur les sociétés d’assurances ou de la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt, et à propos de laquelle le ministre des Finances certifie au commissaire le nom des parties et certifie que cette fusion est dans l’intérêt public ou qu’elle le serait compte tenu des conditions qui pourraient être imposées dans le cadre de ces lois;
    2. d’une fusion — réalisée ou proposée — agréée en vertu du paragraphe 53.2(7) de la Loi sur les transports au Canada et à l’égard de laquelle le ministre des Transports certifie au commissaire le nom des parties. »
  1. Dans les cas où le ministre des Finances ou celui des Transports certifie au commissaire le nom des parties à la fusion, tel qu’il est énoncé à l’alinéa 94b) ou 94c), respectivement, le Tribunal n’a plus compétence pour se prononcer sur cette fusion. Les paragraphes ci dessous décrivent l’évolution de ces dispositions législatives parallèles, les facteurs pris en considération dans l’évaluation de l’intérêt public (relativement aux cas précédents qui ont été très médiatisés) et la participation du Bureau dans le cadre du processus d’examen, qu’il en ait reçu légalement le mandat (dans le cas des transports) ou qu’il y prenne part par mesure administrative (dans le cas des finances).
Finances
  1. Pendant plusieurs années, l’alinéa 94b), qui s’applique aux fusions réalisées dans le secteur des services financiers, a été la seule disposition de la Loi à prévoir expressément un examen parallèle ou à autoriser un autre organisme à outrepasser la compétence du Tribunal en ce qui a trait à une fusion. Même dans les cas où le ministre a compétence et entreprend une évaluation visant à déterminer si une fusion est dans l’intérêt public, d’autres organismes sont malgré tout invités, par mesure administrative, à fournir des renseignements qui éclaireront la décision finale. En règle générale, le Bureau a la responsabilité d’évaluer la fusion du point de vue de la concurrence, et le Bureau du surintendant des institutions financières est responsable de l’évaluation des considérations de prudence.
  2. Les exemples les plus notoires de tels examens réalisés par le ministre des Finances remontent à 1998, lorsque la Banque Royale du Canada et la Banque de Montréal ont annoncé leur intention de fusionner et que peu de temps après, la Banque Toronto Dominion et la Banque Canadienne Impériale de Commerce ont également annoncé avoir conclu un accord de fusionnement. Ces fusionnements, qui visaient quatre des cinq plus importantes banques du Canada, ont finalement été rejetés par le ministre des Finances, au motif que les fusions n’étaient pas dans l’intérêt public. Les trois critères généraux pris en considération par le gouvernement avaient pour but de déterminer si les fusionnements entraîneraient
    1. une concentration indue du pouvoir économique;
    2. une réduction importante de la concurrence;
    3. une limitation des moyens de résoudre des problèmes d’ordre prudentielFootnote 15.
  3. En décembre 1998, le Bureau a envoyé une lettre aux banques, dont une copie a été transmise au ministre des Finances, pour leur faire part de ses conclusions concernant chacune de ces fusionsFootnote 16. Le Bureau a conclu que les deux fusionnements auraient vraisemblablement pour effet de diminuer sensiblement la concurrence au sein de certains marchés pertinents. Dans ces lettres, le Bureau souligne qu’il n’a pas le pouvoir d’approuver ou de désapprouver les fusionnements, mais qu’il fait plutôt connaître aux banques les résultats de son examen et qu’il communique également ses conclusions au ministre qui, seul, peut donner l’approbation finale au projet de fusionnement en vertu de la Loi sur les banques. Si le ministre n’avait pas rejeté catégoriquement les fusionnements, les parties auraient eu la possibilité de consulter le Bureau concernant les mesures correctives appropriées pour régler les préoccupations soulevées relativement à la concurrence, compte tenu de toutes les craintes liées à l’intérêt public exprimées par le ministre.
  4. En 2002, le gouvernement du Canada a entrepris un processus d’examen en vue de recueillir des points de vue quant aux principaux points à considérer au titre de la détermination de l’intérêt public lors du fusionnement de banques. Après avoir examiné les rapports de différents comités, le gouvernement a formulé sa réponse, en y intégrant un ensemble plus détaillé de facteurs liés à l’intérêt public à prendre en considération lors de l’évaluation des fusionnements de banquesFootnote 17. Ces facteurs comprennent, entre autres, l’accès aux services financiers, notamment dans les collectivités rurales et celles à faible revenu; le vaste choix de fournisseurs de services financiers, en particulier pour les petites et moyennes entreprises; la promotion de la compétitivité internationale et de la croissance à long terme des institutions financières du Canada; la mesure dans laquelle le projet contribue à élargir et à approfondir le fonctionnement des marchés de capitaux au Canada; le traitement équitable des employés concernés.
Transports
  1. Pour des raisons liées à l’acquisition de la Canadian Airlines par Air Canada (transaction examinée plus en détail ci dessous), la compétence ministérielle relative à l’examen des fusions a été élargie en 2000 afin d’intégrer les fusions de transporteurs aériens. Elle a de nouveau été élargie en 2007 afin d’inclure toute affaire mettant en cause une entreprise de transport (c.‑à‑d. les transactions liées au transport à l’échelle nationale). En l’état actuel des choses, en vertu de la Loi sur les transports au Canada (la « LTC »), les parties à un fusionnement, qui concerne une entreprise de transport et qui est visé par un avis émis en vertu de la Loi, doivent également donner avis au ministre des Transports de la transactionFootnote 18. Dans un délai de 42 jours suivant la réception d’un tel avis, « s’il estime que la transaction ne soulève aucune question d’intérêt public en matière de transports nationaux… », le ministre avisera les parties que les articles 53.2 et 53.3 de la LTC ne s’appliquent pasFootnote 19. Dans de tels cas, aucun autre examen ministériel n’est effectué et les dispositions de la Loi s’appliquent en l’état (c.‑à‑d. le Tribunal a toujours compétence pour rendre une ordonnance concernant le fusionnement). Cependant, « s’il estime que la transaction soulève des questions d’intérêt public en matière de transports nationaux », le ministre peut demander que ces questions soient étudiéesFootnote 20, et les parties ne pourront pas conclure la transaction, sauf si le gouverneur en conseil l’a agrééeFootnote 21.
  2. Le rôle que le commissaire joue dans l’examen de l’intérêt public réalisé par le ministre est décrit dans la LTC, qui précise que le commissaire doit faire « rapport au ministre et aux parties à la transaction des questions relatives à l’empêchement ou à la diminution de la concurrence qui pourrait en résulterFootnote 22 ». À la fin de cet examen de l’intérêt public, le gouverneur en conseil du Canada, sur recommandation du ministre des Transports, doit décider s’il approuve ou non la transaction, avec les conditions qu’il estime indiquées. Si des conditions relatives à la concurrence sont imposées suivant l’approbation de la transaction par le Cabinet, le commissaire a la responsabilité de s’assurer que celles ci sont respectées, et si l’une des parties contrevient par la suite à l’une de ces conditions, le commissaire aura la responsabilité de présenter une demande en vue d’obtenir une ordonnance de la cour pour remédier au problèmeFootnote 23.
  3. Au moment de déterminer si un fusionnement mettant en cause une entreprise de transport soulève des préoccupations ou des questions d’intérêt public en matière de transports nationaux, Transports Canada tient compte des facteurs économiques, environnementaux et sociaux, ainsi que des facteurs liés à la sécurité et à la sûreté. Les considérations d’ordre économique pourraient inclure les conséquences de la transaction sur les utilisateurs du réseau de transport; les prix et l’accessibilité des services et des installations; les répercussions sur les collectivités, notamment l’emploi et l’offre de services à prix abordable; l’impact sur d’autres entreprises de transport ou secteurs; les conséquences sur le commerce, la compétence de la main d’œuvre, la productivité, l’innovation et la compétitivité du Canada dans son ensemble; les répercussions sur les entreprises visées, notamment la viabilité financière de l’entité issue de la fusion. Les facteurs environnementaux pris en considération pourraient comprendre la capacité d’une transaction à améliorer la qualité de vie et l’environnement en réduisant la congestion et la pollution. Les considérations relatives à la sécurité pourraient viser la sécurité au travail et dans les collectivités, et celles relatives à la sûreté pourraient englober l’incidence de la transaction sur la capacité du gouvernement à protéger la population et à intervenir en cas de menaces. Enfin, les facteurs sociaux pourraient inclure les répercussions sur les travailleurs et les personnes handicapées.
  4. Un examen de fusion important réalisé au Canada, qui mettait en cause une entreprise de transport, a été l’acquisition de la Canadian Airlines par Air Canada en 1999, bien que ce cas ne soit pas représentatif du déroulement habituel du processus. Dans cette affaire, l’article 47 de la LTC a été invoqué, lequel autorise le Cabinet à ordonner que toutes les mesures « qu’il estime essentielles à la stabilisation du réseau national des transportsFootnote 24 » soient prises, dans les situations qui constituent « une perturbation extraordinaire de la bonne exploitation continuelle du réseau des transportsFootnote 25 ». La Canadian Airlines avait été déclarée insolvable, et la transaction a finalement été approuvée par le Cabinet, qui a jugé certaines mesures correctives nécessaires en ce qui a trait à la concurrence et aux autres questions d’intérêt public, telles que les garanties d’emploi et le maintien des services offerts aux collectivités éloignéesFootnote 26. Le Bureau a fait part de ses observations et de ses recommandations au ministre des Transports concernant les préoccupations soulevées en matière de concurrenceFootnote 27. Le renvoi à l’article 47 a, en réalité, permis de surseoir à l’application de la Loi sur la concurrence pour une période de 90 jours, pendant laquelle le gouvernement a créé un processus spécial afin de procéder à une restructuration de l’industrie du transport aérien et au renforcement de sa capacité de servir les intérêts du public à long termeFootnote 28.

Télécommunications et radiodiffusion

  1. Les fusionnements dans les secteurs des télécommunications et de la radiodiffusion peuvent faire l’objet d’examen par le CRTC ou, dans certains cas visant les transferts du spectre sans fil, par le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique du Canada par l’entremise du Secteur du spectre, des technologies de l’information et des télécommunicationsFootnote 29. À la différence du secteur financier et de celui des transports, la Loi ne prévoit aucune façon de se soustraire à la compétence du Tribunal lors des fusions d’entreprises de télécommunications et de radiodiffusion. Par conséquent, tout comme pour les examens des investissements étrangers, les examens de fusion réalisés par le CRTC ou le ministre se font en parallèle avec celui du Bureau. Le Bureau ne présentera généralement pas d’observations ou d’opinions officielles au CRTC ou au ministre pendant la tenue de tels examens; contrairement à ce que l’on observe dans les autres secteurs, aucune disposition législative ou politique ne prévoit un tel échange entre eux. Toutefois, les organismes resteront en contact, tout au long de l’examen réalisé en parallèle, afin que chacun puisse profiter des connaissances spécialisées de l’autre, qui pourraient leur être utiles, et ils discuteront des questions relatives au calendrier, dans la mesure où de telles questions peuvent être abordées.
  2. En 2013, le Bureau et le CRTC ont signé une lettre d’ententeFootnote 30, qui établit différents paramètres et objectifs en vue de favoriser la coopération des deux organismes sur des questions d’intérêt commun, y compris les fusionnements. La lettre prévoit l’échange de pratiques exemplaires, des exercices de formation des employés menés en collaboration, des séances de transfert des connaissances, des réunions régulières avec les cadres supérieurs des deux organismes pour discuter d’autres possibilités de coopération, de même que la création d’un programme d’échange d’employés. Bien que comme toujours, l’examen du Bureau porte exclusivement sur les questions liées à la concurrence, les facteurs considérés par le CRTC lors des fusions d’entreprises de radiodiffusion englobent un plus vaste éventail d’objectifs d’intérêt public. Ces objectifs comprennent, parmi d’autres priorités, la nécessité de préserver la diversité des voix dans le système de radiodiffusion, notamment la pluralité de la propriété et la diversité de la programmationFootnote 31.
  3. En juillet 2001, Astral Media Inc. (« Astral ») a déposé une demande auprès du CRTC en vue de faire l’acquisition de huit stations de radio francophones appartenant à Télémédia Radio Inc. En décembre 2001, le commissaire a présenté une demande au Tribunal pour contester ce fusionnement, qui mettait en cause les deux plus importants radiodiffuseurs francophones du Canada, au motif que la transaction aurait vraisemblablement pour effet de diminuer sensiblement la concurrence au sein de six marchés de la publicité radiophonique locaux au Québec. Le même jour, le commissaire a reçu un avis l’informant que les parties avaient déposé des demandes auprès de la Cour fédérale du Canada pour lui demander de statuer que la Loi ne s’appliquait pas à ce fusionnement proposé, compte tenu de la compétence conférée au CRTC par la Loi sur la radiodiffusion. Toutefois, aucune décision n’a été rendue concernant cette contestation de la compétence, étant donné que les parties ont conclu un consentement avec le Bureau, qui a été enregistré auprès du Tribunal en septembre 2002, après que le CRTC eut également approuvé la transaction plus tôt au cours de la même année selon les conditions qu’il estimait appropriées. Le consentement prévoyait, entre autres, le dessaisissement de six stations de radio. Il est intéressant de noter qu’à la suite de leur examen respectif, le Bureau et le CRTC (qui se sont penchés sur la question de la concurrence et ont examiné des facteurs d’intérêt public plus généraux) en sont venus à des conclusions différentes en ce qui concerne l’incidence de la transaction sur la concurrence. Le Bureau a exigé des dessaisissements afin d’atténuer l’incidence sur la concurrence dans le marché de la publicité diffusée sur les stations de radio francophones, tandis que le CRTC a conclu que la transaction améliorerait la position concurrentielle des stations de radio francophones du secteur privé, de même que la qualité de la programmationFootnote 32.
  4. Un autre examen important dans le secteur de la radiodiffusion a été réalisé en ce qui concerne l’acquisition par BCE Inc. (« BCE »), en 2013, de services de télévision et de stations de radio appartenant à Astral. Le Bureau a exprimé les préoccupations que soulevait la transaction en matière de concurrence relativement à l’offre de services de programmation de télévision en anglais et en français au Canada et a conclu un consentement avec BCE en vue de préserver la concurrenceFootnote 33. En vertu de cet accord, qui a été enregistré auprès du Tribunal, BCE devait se dessaisir de 11 services de télévision, et il lui était interdit d’imposer des exigences restrictives en matière de groupement à tout fournisseur souhaitant offrir certains services. Le CRTC a également exprimé des préoccupations en matière de concurrence, et bien qu’il ait initialement rejeté la transaction, il a finalement approuvé le projet, sous réserve d’un certain nombre de conditions supplémentaires nécessaires en vue de protéger l’intérêt publicFootnote 34. L’une de ces conditions était que BCE investisse dans de nouvelles émissions canadiennes.

D. Défense fondée sur les gains en efficience

  1. Comme on l’a décrit précédemment, le modèle canadien pour l’étude des gains en efficience lors de l’examen des fusions est unique lorsqu’on le compare à la plupart des homologues internationaux du Bureau. Au lieu de n’être que l’un des nombreux facteurs qui peuvent être pris en considération lors de l’évaluation déterminant si une fusion peut se faire sans opposition, les gains en efficience découlant d’une fusion sont évalués dans le cadre de l’analyse comparative présentée à l’article 96 de la Loi. Il incombe au Bureau de déterminer si les effets anticoncurrentiels d’une fusion respectent le critère juridique en vertu de l’article 92, et le fardeau de la détermination des gains en efficience revient aux parties qui fusionnent si elles choisissent d’avoir recours à la défenseFootnote 35. Selon l’article 96, le Tribunal doit permettre une fusion par ailleurs anticoncurrentielle s’il conclut que les gains en efficience qui découlent de la fusion surpassent ou neutralisent ses effets anticoncurrentiels probables. Selon l’article 96, le « Tribunal ne rend pas l’ordonnance prévue à l’article 92 dans les cas où il conclut que le fusionnement, réalisé ou proposé [...] a eu pour effet ou aura vraisemblablement pour effet d’entraîner des gains en efficience, que ces gains surpasseront et neutraliseront les effets de l’empêchement ou de la diminution de la concurrenceFootnote 36 [...] ». Ce cadre peut être interprété comme accordant plus de poids aux efficiences dans le droit canadien en matière de fusions que dans bien d’autres pays.
  2. La mise au point du cadre du Canada en matière d’efficiences, intégré à la Loi en 1986, s’est faite en ayant en tête des questions économiques plus vastes, en particulier en ce qui concerne les caractéristiques uniques de l’économie canadienne. Ses origines remontent à 1969, année au cours de laquelle le Conseil économique du Canada a publié un rapport recommandant entre autres que les lois sur la concurrence du Canada « tiennent implicitement compte des gains en efficience pouvant résulter des fusions qui seraient par ailleurs anticoncurrentiellesFootnote 37 ». Le Conseil économique a tenu compte des caractéristiques de l’économie canadienne, qui font en sorte que, selon le Conseil, l’objectif premier de la politique sur la concurrence devrait consister à « améliorer l’efficience économique et éviter le gaspillage des ressources » de l’économie canadienneFootnote 38. Le Conseil a observé que les barrières tarifaires frappant de nombreux produits finaux nuisaient fortement à l’efficience dans une économie canadienne dont la taille est relativement modesteFootnote 39. Le Conseil recommandait entre autres que les efficiences fassent partie d’un exercice de comparaison où les dommages aux consommateurs sont compensés par les avantages publics pour l’économie canadienne dans son ensemble. Par la suite, il a été affirmé qu’une défense distincte fondée sur les gains en efficience avait été jugée « convenir particulièrement au Canada, car un marché intérieur modeste ne permet souvent qu’à quelques entreprises tout au plus de produire à des niveaux efficients, et les entreprises canadiennes doivent pouvoir tirer parti d’économies d’échelle pour demeurer concurrentielles sur le marché internationalFootnote 40 ».
  3. Des projets de loi déposés au Parlement entre 1969 et l’entrée en vigueur de la Loi en 1986 portaient sur la question de la défense fondée sur les gains en efficience, sur ses mérites dans le contexte de l’économie canadienne, et sur la question de savoir si la Loi devrait donner des indications plus claires quant à la façon de traiter la redistribution de revenus des consommateurs aux producteurs dans le contexte de l’analyse comparative prévue par l’article 96Footnote 41. Même si certaines dispositions législatives proposées contenaient des références relatives à l’obligation que les gains en efficience soient « transférés » au public sous forme de prix inférieurs ou de meilleurs produitsFootnote 42, en fin de compte la Loi n’a pas précisé la façon dont le Tribunal devrait traiter les questions associées au transfert de la richesse.
  4. Cependant, des indications importantes ont été fournies par les tribunaux canadiens concernant la question de la redistribution de revenus lors de la fusion de Supérieur Propane et d’ICG Propane (« Propane ») au début des années 2000. Propane a été la première fusion contestée au Canada qui a été autorisée à aller de l’avant sur la base de la défense fondée sur les gains en efficience, et la question de la redistribution de revenus a été traitée de façon rigoureuse par les tribunaux. Bien que le Tribunal ait tout d’abord permis la fusion sur la base d’une défense réussie qui s’appuyait sur l’article 96 et qu’il considérait qu’un critère du surplus total devait être appliqué, la Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire au Tribunal en vue d’un réexamen, mentionnant que le Tribunal « a commis une erreur de droit [en imposant] le critère du surplus totalFootnote 43 » et que « quel que soit le critère [de bien‑être] choisi […] il doit refléter, mieux que ne le fait le critère du surplus total, les différents objectifs de la Loi sur la concurrenceFootnote 44 ». La Cour d’appel a ajouté que « la méthode des coefficients pondérateurs » – qui attribue une valeur ou un poids particulier à la perte de surplus du consommateur par rapport au gain de surplus du producteurFootnote 45 – semble respecter ces exigences générales. Lors du réexamen, le Tribunal a une fois de plus permis la fusion au motif d’une défense réussie fondée sur les gains en efficienceFootnote 46, mais a mentionné que « le Tribunal est tenu d’admettre que les effets de redistribution peuvent être légitimement considérés comme neutres dans certains cas, mais pas dans d’autres. On ne peut juger de la justice et de l’équité qu’à partir de données complètes sur les profils socio‑économiques des consommateurs et des actionnaires des producteurs, permettant d’établir si les effets de redistribution sont socialement neutres, favorables ou défavorablesFootnote 47 ».
  5. Dans la récente affaire de fusion contestée Canada (Commissaire de la concurrence) c. Tervita Corp., la seule fusion contestée autre que Propane que les tribunaux canadiens ont permis au motif d’une défense selon l’article 96, le Tribunal a déclaré que le critère du surplus total devrait constituer le point de départ, mais que le Tribunal « détermine si le fusionnement donnera vraisemblablement lieu à des effets socialement défavorables » si de tels arguments sont avancés par le commissaire et « [d]ans l’affirmative, il doit décider comment prendre en compte le transfert de richesse lié aux effets négatifs [...]Footnote 48 ». Le Tribunal a également fait remarquer, cependant, qu’il s’attend à ce que le transfert de richesse soit traité comme étant neutre dans la plupart des casFootnote 49.
  6. Découlant de cette jurisprudence, du point de vue du Bureau, le Tribunal maintient une souplesse en déterminant au cas par cas le traitement qui convient relativement au transfert de richesse qui se produit en raison d’une augmentation des prix. Bien que le fardeau de démontrer les gains en efficience en vertu de l’article 96 revienne aux parties qui fusionnent, l’évaluation de la valeur relative d’un dollar dans les mains des consommateurs par rapport au dollar qui se trouve dans les mains des producteurs (et de leurs actionnaires) est un exercice qui concerne l’intérêt public, et elle demeure intégrée à l’analyse en vertu de l’article 96 de la Loi.

E. Conclusion

  1. La politique de la concurrence au Canada, comme dans la plupart des pays, constitue l’un des nombreux éléments importants qui permettent au gouvernement de s’acquitter de son mandat de protection de l’intérêt public. La question à l’étude exposée dans le document d’information du Secrétariat porte en bonne partie sur la question de savoir si les gouvernements choisissent d’élargir le mandat associé aux fusions des autorités responsables de la concurrence pour qu’il aille au‑delà des principaux objectifs de la concurrence s’il y a lieu, afin de défendre également divers objectifs de protection de l’intérêt public, ou si les gouvernements devraient laisser ces considérations plus vastes à d’autres organismes qui ont des expertises et des mandats différents. Au Canada, le gouvernement a principalement opté pour cette dernière démarche. L’analyse présentée relativement à la défense fondée sur les gains en efficience portant sur le traitement de la redistribution de revenus est l’exception qui peut s’appliquer à un nombre restreint de fusions très complexes. Il est intéressant de noter que les seules fusions anticoncurrentielles que les tribunaux canadiens ont permises et qui s’appuyaient sur une défense réussie fondée sur les gains en efficience ne portaient que sur des produits et services vendus ou fournis à l’échelle nationale (c.‑à‑d. que les affaires ne portaient pas sur des produits ou des services vendus ou fournis en dehors du Canada).
  2. Lorsque des objectifs d’intérêt public entrent en jeu dans le contrôle de fusions au Canada et que cela dépasse la portée du mandat du Bureau, le Bureau collaborera pleinement avec les autres organismes ou parties du gouvernement conformément aux diverses lois en vigueur en matière de fusions au Canada et aux politiques qui orientent la coordination.