Mémoire à l’OCDE : prise de décision dans les cas de fusionnement

Le 15 novembre 2016

1. Introduction

Le Bureau de la concurrence du Canada (le « Bureau ») est heureux de présenter les observations qui suivent à la table ronde du 29 novembre 2016 du Comité sur la concurrence de l’OCDE concernant la prise de décisions des autorités dans les cas de fusionnement — les compromis entre les décisions d’interdiction et les autorisations conditionnelles.

Au Canada, le commissaire de la concurrence (le « commissaire ») ne peut pas interdire unilatéralement un fusionnement ni imposer des mesures correctives aux parties à la fusionNote de bas de page 1. Dans la grande majorité des cas de fusionnement dans lesquels le commissaire conclut qu’une transaction empêchera ou réduira vraisemblablement et sensiblement la concurrence, des mesures correctives sont énoncées dans une entente entre le commissaire et les parties à la transaction. Ces consentements sont enregistrés auprès du Tribunal et ont la même valeur et produisent les mêmes effets qu’une ordonnance du TribunalNote de bas de page 2. Depuis 1986, plus de 70 consentements concernant des fusionnements ont été enregistrés au Tribunal, dont dix‑neuf au cours des cinq dernières années. Les exemples de mesures correctives négociées au cours des cinq dernières années vont de l’obligation de se départir de tous les éléments d’actif d’une entreprise canadienne à l’obligation de se départir de certains établissements de vente au détail ou de certains produits pharmaceutiques. Dans un cas, le Bureau a également exigé la mise en place de cloisons administratives étanches pour prévenir le partage de renseignements sensibles au plan concurrentiel.

Lorsque les parties ne s’entendent pas sur les mesures correctives acceptables par un consentement et si elles n’abandonnent pas par ailleurs la transaction, le commissaire peut demander une ordonnance au Tribunal pour remédier à l’effet anticoncurrentiel de la transaction, voire une ordonnance interdisant complètement la transaction.

Depuis l’introduction des dispositions sur les fusionnements dans la Loi sur la concurrence (la « Loi »)Note de bas de page 3 du Canada en 1986, le commissaire s’est adressé au Tribunal pour contester treize transactions. Dans septNote de bas de page 4 de ces affaires, le Bureau demandait l’interdiction ou la dissolution. Même si le Tribunal n’a ordonné aucune dissolution et n’a interdit aucun fusionnement dans sa totalité, des mesures correctives ont été obtenues dans plusieurs de ces affaires. Au cours des cinq dernières années, il y a eu trois projets de fusionnement que les parties ont volontairement abandonnés à la suite de préoccupations formulées par le Bureau et, dans certains cas, par des organismes régissant la concurrence dans d’autres ÉtatsNote de bas de page 5.

2. Effets anticoncurrentiels et norme de réparation en cas de fusionnement au Canada

2.1 Dommage anticoncurrentiel et gains en efficience

Si le commissaire cherche à interdire une transaction ou à obtenir une autre forme de réparation du Tribunal sous le régime des dispositions de la Loi qui traitent des fusionnements, il doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le fusionnement ou le projet de fusionnement empêche ou diminue sensiblement la concurrence, ou aura vraisemblablement cet effetNote de bas de page 6. Si le commissaire réussit à établir le bien‑fondé de sa cause, le Tribunal formulera une ordonnance qui remédie au dommage concurrentiel après avoir conclu à l’existence d’un dommage anticoncurrentiel et avoir pris en considération les observations du commissaire et des parties au sujet des mesures correctives qui s’imposentNote de bas de page 7.

La Loi contient une défense explicite de gains en efficience. L’article 96 prévoit un cadre comparatif dans lequel les gains en efficience qui découleront vraisemblablement d’un fusionnement (et qui seraient probablement perdus en raison de l’ordonnance) sont évalués en tenant compte des effets anticoncurrentiels vraisemblables du fusionnementNote de bas de page 8. Le Tribunal ne peut pas rendre l’ordonnance s’il conclut que lesdits gains en efficience seraient supérieurs aux effets anticoncurrentiels et neutraliseraient ceux‑ci. Si les parties font valoir une défense de gains en efficience, le Tribunal passe à une étape distincte et subséquente afin de décider s’il peut rendre l’ordonnance en questionNote de bas de page 9.

Cette bifurcation vers l’analyse des gains en efficience à partir de l’analyse de la concurrence formelle et de l’élaboration de mesures correctives est assez particulière dans le régime canadien de contrôle des fusionnements. Contrairement aux régimes dans lesquels les analyses sont entièrement intégrées, en vertu du droit canadien sur les fusionnements, il n’est pas nécessaire que les gains en efficience éliminent les effets anticoncurrentiels vraisemblables du fusionnement pour être recevablesNote de bas de page 10.

La démarche qu’emprunte le Bureau pour analyser les fusionnements, y compris les gains en efficience, est décrite de façon plus précise dans son document intitulé Fusions, lignes directrices pour l’application de la loi (les « Lignes directrices »)Note de bas de page 11. Pour décider si une transaction entraînera vraisemblablement une diminution ou un empêchement important de la concurrence, le Bureau tient compte de l’importance et de la durée probables de toute augmentation des prix qui sera prévue à la suite du fusionnement (ou qui sera empêchée par le fusionnement)Note de bas de page 12. Le Bureau n’utilise pas de seuil numérique pour la hausse appréciable de prix. Les conclusions du Bureau concernant l’empêchement ou la diminution sensible de la concurrence sont plutôt fondées sur une évaluation des aspects propres au marché qui pourraient avoir pour effet de limiter la hausse des prix après le fusionnement. De plus, lorsque les entreprises qui fusionnent, individuellement ou collectivement, ont déjà une puissance commerciale, des incidences moins marquées sur la concurrence découlant de ce fusionnement satisferont aux critères de la « sensibilité ».

2.2 Norme de réparation en cas de fusionnement

En ce qui concerne les mesures correctives, le Bureau a généralement comme attitude de trouver une réparation structurelle efficace et viable qui est adaptée au dommage, mais lorsqu’une réparation sur mesure n’est pas possible, il peut être nécessaire de demander la dissolution ou l’interdiction. Une réparation efficace tient compte des circonstances particulières de l’affaire et de la théorie des effets anticoncurrentiels, selon l’allégation du Bureau ou la décision du Tribunal. Pour ce qui est d’apprécier si des mesures correctives sont acceptables, le commissaire doit être convaincu qu’elles sont suffisantes pour rétablir la concurrence au point où on ne peut plus dire qu’elle est sensiblement moindre qu’elle l’était avant le fusionnementNote de bas de page 13. Par conséquent, le caractère concurrentiel d’un marché avant un fusionnement est important pour décider si les mesures correctives proposées seront suffisantes pour remédier au dommage. Par exemple, si un marché est très peu concurrentiel avant le fusionnement, une réparation acceptable serait plus susceptible de rétablir le marché au niveau de concurrence qui existait avant le fusionnementNote de bas de page 14.

Dans certaines situations, les mesures correctives doivent aller au‑delà de ce qui serait nécessaire pour rétablir la concurrence à un niveau par ailleurs acceptable pour éliminer complètement un empêchement ou une diminution importante de la concurrenceNote de bas de page 15. Par exemple, il pourrait s’agir du dessaisissement d’éléments d’actif extérieurs au marché pertinent si les économies d’échelle ou de portée sont importantes ou si les éléments d’actif sur le marché pertinent ne constituent pas une entreprise active autonomeNote de bas de page 16,Note de bas de page 17.

Ce même cadre d’analyse s’applique quand le commissaire agit au moyen d’un consentement. Le Bureau doit avoir accumulé suffisamment de preuves et il doit avoir effectué une analyse suffisante pour conclure qu’un fusionnement réalisé ou proposé empêchera ou diminuera vraisemblablement la concurrence d’une manière sensible; toutefois, pour ce qui est des mesures correctives disponibles, même si le Tribunal peut seulement ordonner que le fusionnement ne soit pas autorisé en tout ou en partie ou peut interdire aux parties de faire certains actes, la Loi prévoit une gamme plus étendue de mesures correctives avec le consentement du commissaire et des parties à la fusionNote de bas de page 18.

La politique actuelle du Bureau sur les mesures correctives en cas de fusionnement est énoncée dans son Bulletin d’information sur les mesures correctives en matière de fusions au CanadaNote de bas de page 19. Ce bulletin donne des orientations sur les objectifs des mesures correctives et énonce les principes généraux que le Bureau met en application quand il cherche, conçoit et met en œuvre de telles mesures.

Le Bureau a également publié récemment un modèle de consentement pour fusionnement afin de mieux expliquer aux intervenants ses attentes quand il négocie des mesures correctives dans le contexte d’un fusionnement et de rendre plus transparente et prévisible la façon dont le Bureau applique la LoiNote de bas de page 20. Le modèle tient compte de l’expérience que le Bureau acquiert constamment en ce qui concerne l’efficacité de mesures correctives antérieurement mises en œuvre et qui ont été au moins partiellement adoptées par le Tribunal. Par exemple, dans le cadre d’une demande d’injonction provisoire présentée par le commissaire dans un cas où l’acquéreur avait proposé de se dessaisir de certains éléments d’actif et de résilier une entente d’approvisionnement pour remédier au dommage anticoncurrentiel allégué, le Tribunal a statué que les engagements proposésNote de bas de page 21 :

[…] ne sont pas définis suffisamment et ne permettent pas au Tribunal de conclure qu’ils répondraient aux préoccupations en matière de concurrence relativement aux 11 marchés locaux visés, de manière à écarter toute question sérieuse à l’égard de ces marchés. La liste des éléments d’actif de Parkland visés par le dessaisissement n’était pas accompagnée d’un projet détaillé d’entente de dessaisissement, comme dans le cas des consentements déposés auprès du Tribunal visant à répondre aux préoccupations en matière de concurrence dans les affaires de fusionnement. Rien ne permet de savoir quand et comment sera réalisé le dessaisissement proposé des éléments d’actif de Parkland. Il n’est pas non plus indiqué qui seront les acquéreurs des stations d’essence opérant sous la bannière de la société ou les fournisseurs des stations d’essence indépendantes, aptes ou potentiels, et il n’est pas mentionné si le dessaisissement devra être approuvé par le commissaire. Il n’y a aucune mention des mesures qui seront prises pour maintenir la viabilité concurrentielle des éléments d’actif en attente de leur dessaisissement. De plus, rien n’indique le délai nécessaire pour permettre la réalisation du dessaisissement proposé des éléments d’actif de Parkland et de l’engagement de Tillsonburg.

Par la suite, le Tribunal a rendu une ordonnance portant séparation et conservation des éléments d’actif en s’inspirant du libellé du modèle du Bureau.

Pour réduire au minimum le risque que les mesures correctives soient mises en application de manière inefficace, un consentement ne peut pas inclure des conditions qui sont inexécutables ou qui créeraient une obligation inexécutable, notamment parce qu’elles sont trop imprécisesNote de bas de page 22, et il comprendra normalement :

  1. un processus en vue de l’approbation par le commissaire de l’acquéreur potentiel lorsque les éléments d’actif sont vendus soit par les parties pendant une période initiale de vente soit par un fiduciaire du dessaisissement;
  2. la nomination d’un fiduciaire du dessaisissement, qui peut vendre des éléments d’actif sans prix minimum, lorsque le dessaisissement n’est pas achevé pendant la période de vente initialeNote de bas de page 23;
  3. la nomination d’un gestionnaire des éléments d’actif séparés qui est chargé de la gestion quotidienne des éléments d’actif séparés qui doivent faire l’objet du dessaisissement et qui relèvent directement du contrôleur;
  4. la nomination d’un contrôleur indépendant qui fera en sorte que les parties à la fusion se conforment aux conditions du consentement, y compris l’accès sans restriction aux dossiers et aux installations pertinents, et qui fera régulièrement rapport au commissaire;
  5. des obligations continues de présentation de rapports.

3. Demander l’interdiction ou l’abandon volontaire d’un fusionnement

Il existe divers scénarios dans lesquels l’interdiction est vraisemblablement l’unique moyen de remédier adéquatement aux effets anticoncurrentiels découlant d’un projet de fusionnement. Certains de ceux‑ci sont examinés ci‑dessous.

3.1 Diminution ou empêchement important de la concurrence dans chaque marché où les parties à la fusion exercent des activités.

Un scénario dans lequel l’interdiction d’un fusionnement proposé entre concurrents pourrait être le seul moyen de remédier adéquatement aux effets anticoncurrentiels peut se produire en cas de diminution ou d’empêchement vraisemblable de la concurrence dans tous ou presque tous les produits et les marchés géographiques dans lesquels les parties à la fusion exercent leurs activités.

Dans une affaire de fusionnement, le Bureau a demandé la dissolution du fusionnement entre des concurrents après avoir établi qu’il en découlerait vraisemblablement une diminution ou un empêchement sensible de la concurrence dans l’approvisionnement et la livraison de propane et de matériel fonctionnant au propane ainsi que dans le service et l’entretien de matériel fonctionnant au propane dans de nombreux marchés locaux ainsi que dans un marché de comptes nationauxNote de bas de page 24.

Le Tribunal a conclu qu’il était vraisemblable qu’une diminution ou un empêchement important et sensible de la concurrence serait causé par le fusionnementNote de bas de page 25 et que la seule réparation efficace serait un dessaisissement total; voici comment il s’est exprimé à ce sujet :

[…] puisque le fusionnement entre Supérieur et ICG aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur de nombreux marchés locaux au Canada, seule une ordonnance de dessaisissement total est indiquée dans les circonstances. En fait, le Tribunal estime que toute ordonnance de dessaisissement partiel, bien que moins attentatoire, ne permettrait pas de rétablir, sur ces marchés, la concurrence à un niveau auquel il ne serait plus possible de dire qu’elle est inférieure à ce qu’elle était avant le fusionnementNote de bas de page 26.

3.2 Des éléments d’actif à l’extérieur des marchés touchés pourraient être nécessaires en cas de dessaisissement

Comme nous l’avons vu, dans certains cas, même si une diminution ou un empêchement sensible de la concurrence n’est pas vraisemblable dans tout le marché dans lequel les parties exercent leurs activités, des éléments d’actif à l’extérieur du marché en cause doivent aussi faire l’objet d’un dessaisissement pour faire en sorte que les mesures correctives soient viables et efficaces. Dans ces cas, l’interdiction du fusionnement pourrait être le seul moyen de prévenir les effets anticoncurrentiels, même si seulement un sous‑ensemble de produits ou de marchés dans lesquels les parties exercent leurs activités suscite des préoccupations.

3.2.1 La commissaire de la concurrence c. Tervita

Tervita (anciennement CCS) est un fournisseur de services d’enfouissement et exploite deux décharges sécuritaires en Colombie‑Britannique qui acceptent les déchets solides dangereux. En février 2010, elle a acquis Complete, entreprise qui était titulaire d’un permis en vue de l’aménagement du lieu Babkirk, un autre projet de décharge sécuritaire en Colombie‑Britannique. La commissaire a déposé une demande auprès du Tribunal dans laquelle elle alléguait que cette transaction causerait un empêchement sensible à la concurrence sur le marché de l’élimination des déchets dangereux dans le Nord‑Est de la Colombie‑BritanniqueNote de bas de page 27. La commissaire a demandé une ordonnance dans le but de dissoudre la transaction ou, subsidiairement, de faire vendre le lieu Babkirk et le permis de décharge sécuritaire qui s’y rattachait. Même si l’acquisition de Complete a entraîné l’acquisition de certains éléments d’actif supplémentaires, comme des contrats municipaux de récupération des déchets qui étaient les principaux éléments d’actif liés au projet de lieu d’enfouissement Babkirk, la dissolution a été demandée pour faire en sorte que Babkirk ne demeure pas entre les mains de CCS, le monopole des décharges sécuritaires en Colombie‑Britannique.

Cela étant dit, le Tribunal n’a pas dissous le fusionnement et a plutôt ordonné le dessaisissement du lieu Babkirk. Si le Tribunal avait décidé que les éléments d’actif supplémentaires de Complete à l’extérieur du lieu Babkirk et que le permis étaient nécessaires pour garantir des mesures correctives efficaces, la dissolution aurait probablement été nécessaire. Le Tribunal a plutôt statué que le dessaisissement était une mesure corrective à la fois viable et efficace et que la dissolution aurait été « attentatoire, excessive et qu’elle ne mènera[it] pas nécessairement à une ouverture en temps opportun de l’installation Babkirk en tant que site d’enfouissement sécuritaire à service complet »Note de bas de page 28. Le Tribunal a également mis en évidence certains avantages que pouvait présenter le dessaisissement, y compris le droit de la commissaire d’approuver au préalable l’acquéreur et la certitude quant au moment et à la passation de la venteNote de bas de page 29.

3.2.2 Holcim Ltd. et Lafarge S.A.Note de bas de page 30

Après avoir examiné un fusionnement global dans le domaine du ciment entre Holcim et Lafarge, le commissaire a conclu que le projet de transaction entraînerait vraisemblablement une diminution sensible de la concurrence dans le domaine du ciment au Canada. À l’origine, les parties avaient offert de vendre toutes les activités de Holcim au Canada ainsi que certains terminaux de ciment de la région des Grands Lacs aux États‑Unis. Même si cette offre de départ portait sur la totalité des activités commerciales autonomes de Holcim au Canada dans les domaines du béton prêt à l’emploi, du granulat et des services de construction, elle ne couvrait pas la totalité des activités autonomes de Holcim dans le domaine du ciment au Canada. En particulier, les activités de Holcim dans le domaine du ciment en Alberta reposaient en grande partie sur l’approvisionnement d’une cimenterie située à Three Forks, au Montana. Pour garantir des mesures correctives viables et efficaces, le Bureau a conclu un consentement avec Holcim qui obligeait celle‑ci à se départir de toutes ses activités canadiennes et de tous les éléments d’actif connexes ainsi que de l’usine de ciment d’Holcim à Three Forks (Montana), aux États‑UnisNote de bas de page 31. Compte tenu de la nature globale de la transaction, la possibilité de travailler en collaboration très étroite avec la Federal Trade Commission en vue de déterminer l’acceptabilité de la réparation initialement proposée par Holcim a été essentielle pour obtenir des mesures correctives viables et efficaces au Canada.

3.2.3 Le commissaire de la concurrence c. Staples, Inc. Staples AMS, Inc. et Office Depot Inc.

Dans sa demande en opposition au projet d’acquisition d’Office Depot par Staples, le commissaire cherchait à obtenir une ordonnance interdisant à Staples d’acquérir Office Depot ou, subsidiairement, une ordonnance enjoignant à Staples de ne pas procéder au volet de l’acquisition dont la réalisation diminuerait sensiblement la concurrence au CanadaNote de bas de page 32.

Le commissaire a circonscrit un marché pertinent en fonction des besoins d’un groupe de clients, lesquels comprenaient une vaste gamme de produits et de services. Il a également statué que le marché géographique pertinent était le Canada, là encore en fonction des besoins d’un groupe de clients qui, dans l’ensemble, exigeaient la livraison sans délai des produits pertinents partout au pays. En raison de cette définition du marché, il a demandé une mesure de réparation qui tenait compte du besoin qu’avaient les clients d’une entreprise autonome en mesure d’offrir une vaste gamme de produits et services et une livraison rapide partout au Canada. Implicitement, la mesure de réparation demandée en l’espèce était la reconnaissance du fait que Staples devait être empêchée d’acquérir des volets des activités commerciales d’Office Depot qui nuisaient à la capacité de l’entreprise restante de livrer efficacement concurrence dans le marché pertinent après la transaction, y compris des éléments d’actif potentiels à l’extérieur du marché pertinent dont cette entreprise pouvait avoir besoin pour assurer son efficacité dans le marché pertinent. Dans la mesure où pratiquement toutes les activités commerciales d’Office Depot à l’extérieur du marché pertinent étaient nécessaires pour assurer l’efficacité d’une entreprise autonome dans le marché pertinent, le Tribunal aurait pu considérer nécessaire d’interdire le fusionnement.

Après l’injonction rendue aux États‑Unis, qui les empêchait de conclure le fusionnement mondial proposé, les parties ont annoncé leur décision de renoncer à la transaction, ce qui a éliminé la nécessité pour le commissaire de présenter une demande au Tribunal.

3.3 Une transaction n’est plus viable au plan commercial en raison des mesures correctives nécessaires pour remédier à des problèmes de concurrence et les parties ont abandonné volontairement la transaction

Après avoir étudié en profondeur le projet d’acquisition d’Ainsworth Lumber Co. Ltd. par Louisiana‑Pacific Corporation, le Bureau a exprimé des réserves sérieuses en raison du fait que la transaction aurait vraisemblablement diminué de façon sensible la concurrence dans la vente de panneaux de lamelles orientées (OSB), produit principalement utilisé dans la construction ou la rénovation de maisons en Colombie‑BritanniqueNote de bas de page 33. Le département de la justice des États‑Unis s’inquiétait aussi des effets anticoncurrentiels probables de la transaction.

Même si des dessaisissements ont été envisagés, les parties n’ont pas été en mesure de trouver une solution avec le Bureau et le département de la justice des États‑Unis, et elles ont finalement résilié leur entente. Dans un communiqué de presse, Louisiana‑Pacific a déclaré que [TRADUCTION] « les approbations réglementaires (notamment l’expiration de la période d’attente applicable en vertu de la Hart‑Scott‑Rodino Antitrust Improvement Act of 1976, modifiée, ainsi que l’approbation en vertu de la Loi sur la concurrence du Canada) ne peuvent être obtenues sans dessaisissements nettement plus importants que ceux qui avaient été envisagés dans l’entente d’arrangement, ce qui nous aurait obligés à nous engager dans un litige long et coûteux avec les autorités de réglementation des États‑Unis et du Canada »Note de bas de page 34.

3.4 Une mesure corrective liée au comportement n’est pas acceptable et un dessaisissement structurel intégral est nécessaire pour remédier adéquatement au dommage

Le Bureau préfère des mesures correctives qui sont structurelles ou dont l’élément principal est de nature structurelle. Les mesures correctives structurelles sont généralement plus efficaces que celles liées au comportement, et ce, pour de nombreuses raisons, dont le coût et la certitude associés à la réparation. Lorsque ni des mesures correctives liées au comportement ni des mesures correctives structurelles moins attentatoires ne seraient viables et efficaces, il peut être nécessaire d’interdire le fusionnementNote de bas de page 35.

Le Tribunal a énoncé certaines orientations concernant les mesures correctives liées au comportement. Dans une affaire mettant en cause l’élimination de déchets commerciaux dans certaines villes de l’Ontario, le commissaire a déposé une demande auprès du Tribunal afin d’obtenir le dessaisissement d’un lieu d’enfouissement en Ontario, tandis que les parties ont proposé une « entente spatiale » liée au comportement qui aurait permis à des tiers de se servir de la décharge d’une manière préciseNote de bas de page 36. Dans sa décision ordonnant le dessaisissement du lieu d’enfouissement, le Tribunal a précisé ce qui suit :

[…] il convient de préférer une mesure de redressement qui limite cette puissance commerciale de manière permanente à des mesures liées au comportement qui sont de durée déterminée et exigent un contrôle suivi de leur exécution. Il ne s’ensuit pas que, dans les cas où le commissaire aussi bien que les défenderesses y souscrivent, de telles mesures liées au comportement ne puissent se révéler efficaces. Cependant, le Tribunal estime que l’exécution de la mesure de redressement proposée par les défenderesses risquerait de nécessiter des efforts et un temps considérables […]Note de bas de page 37.

Bien que le dessaisissement dans cette affaire ne visait pas la totalité de l’entreprise acquise, il a été ordonné en raison d’une série de circonstances dans lesquelles un scénario de cette nature pourrait se présenter.

4. Résolution des effets anticoncurrentiels au moyen de mesures correctives négociées

Si le commissaire a conclu qu’un fusionnement empêchera ou diminuera vraisemblablement la concurrence d’une manière sensible à l’égard de seulement certains produits ou marchés géographiques et qu’une réparation qui remédie à la perte de concurrence dans ces marchés est suffisante pour remédier au dommage anticoncurrentiel découlant du fusionnementNote de bas de page 38, le Bureau demande normalement des dessaisissements dans ces marchés et permet au reste de la transaction de se réaliser. Les exemples récents comprennent des fusionnements dans les domaines de la vente au détail et dans le secteur pharmaceutique. S’il est impossible d’avoir des mesures correctives structurelles ou si de telles mesures sont en soi insuffisantes, des mesures correctives liées au comportement peuvent être nécessaires pour répondre à des préoccupations en matière de concurrence dans certains marchés. Le Bureau a récemment eu recours à des mesures correctives qui comportent des engagements en matière de comportement, notamment dans le cas de fusions dans le secteur de la vente d’essence au détail.

4.1 Fusionnements dans le secteur de la vente au détail

Au cours des cinq dernières années, le Bureau a été partie à sept consentements donnant lieu au dessaisissement d’installations locales de vente au détail dans une gamme d’industries, dont l’épicerie, l’agroalimentaire et le carburant pour les automobilesNote de bas de page 39. Il est bon de faire remarquer que trois de ces consentements ont entraîné le dessaisissement de points de vente au détail de produits agroalimentaires et d’entreprises autonomes de production d’ammoniac anhydreNote de bas de page 40 dans certains marchés locaux de l’Ouest canadien. Compte tenu de la nature séquentielle de ces dessaisissements, le Bureau a eu la possibilité d’en évaluer l’efficacité après coup, en particulier de ceux qui concernent les entreprises du secteur de l’ammoniac anhydre. Les participants au marché ont indiqué que l’acquéreur devait être en mesure de fournir d’autres produits agroalimentaires dans un établissement de vente au détail situé à proximité s’il voulait assurer le caractère concurrentiel de l’entreprise de distribution d’ammoniac anhydreNote de bas de page 41. Le Bureau a été en mesure d’inclure cette exigence dans un consentement subséquent, améliorant ainsi l’efficacité des mesures correctives.

La mise sur pied d’un engagement à garder à part efficace avant le dessaisissement des éléments d’actif est un autre défi qui se présente souvent lorsque le dessaisissement ne vise pas un réseau complet ou une entreprise autonome. Vu la nature intégrée de certaines entreprises, par exemple en ce qui concerne des éléments comme la logistique en matière de transport, les services de technologie de l’information, les ressources humaines ou certaines politiques d’établissement des prix, des défis importants peuvent se présenter quand il s’agit de séparer une partie d’une telle entreprise. De plus, les parties à la fusion cherchent souvent à intégrer leurs systèmes administratifs immédiatement après la clôture et il peut se révéler difficile, voire impossible, de mettre en place les cloisons étanches nécessaires pour faire en sorte que les renseignements sensibles au plan concurrentiel ne soient pas échangés en temps utile ou ne soient pas échangés du tout. Dans ces situations, il peut être nécessaire de garder à part des éléments d’actif en sus de ceux qui feront l’objet du dessaisissement.

Même si le Bureau a été partie à de nombreux consentements nécessitant le dessaisissement d’activités locales de vente au détail, il est important de faire remarquer que si le nombre de marchés problématiques est important, des dessaisissements dans le marché local ne seront peut‑être pas suffisants pour remédier aux effets anticoncurrentiels vraisemblables, et il pourrait être nécessaire d’ordonner le dessaisissement d’une marque ou de points de vente au détail autres que ceux qui se trouvent dans les marchés problématiques pour faire en sorte d’obtenir des gains en efficience dans le réseau, sinon d’interdire le fusionnement.

4.2 Fusionnements dans le secteur pharmaceutique

Les fusionnements dans le secteur pharmaceutique sont un autre domaine dans lequel des dessaisissements de gammes de produits particuliers qui font double emploi ont été jugés suffisants pour remédier à l’empêchement ou à la diminution sensible de la concurrence dans les marchés pertinents.

Plus tôt cette année, le Bureau a conclu un consentement avec Teva Pharmaceutical Industries Ltd. concernant l’acquisition d’Allergan plc. Le Bureau a conclu que l’acquisition de l’entreprise pharmaceutique Allergan par Teva diminuerait ou empêcherait vraisemblablement la concurrence d’une manière sensible au Canada en ce qui concerne la fourniture de deux médicaments génériques, la solution pour inhalation tobramycine et les cachets de buprénorphine/naloxoneNote de bas de page 42.

Les conditions du consentement obligent Teva à se dessaisir soit de ses propres éléments d’actif, soit de ceux d’Allergan au Canada qui étaient associés aux deux produits. Dans ce cas, il a été établi que ces éléments d’actif à eux seuls étaient suffisants pour faire en sorte qu’un acquéreur soit bien placé pour livrer efficacement concurrence relativement à la fourniture de ces produits au Canada.

4.3 Fusionnements dans le secteur de la vente d’essence au détail

Le commissaire a déposé une demande en avril‑2015 dans laquelle il contestait l’acquisition, par Parkland Fuel Corporation, de certains éléments d’actif de Pioneer Energy LPNote de bas de page 43. Il a conclu que l’acquisition par Parkland aurait vraisemblablement pour effet de réduire sensiblement la concurrence dans certains marchés locaux en ce qui concerne la vente d’essence au détail.

L’établissement de mesures correctives peut présenter des défis dans le cas de fusionnements dans le secteur de la vente d’essence au détail en raison de l’intégration verticale des sociétés pétrolières et des arrangements en matière d’approvisionnement qui en découlent entre ces sociétés et les points de vente au détail en aval. Parkland et Pioneer possèdent et louent à bail des stations‑service pour lesquelles elles fixent le prix de l’essence. Elles fournissent également de l’essence à des stations‑service appartenant à des détaillants tiers dans le cadre de contrats exclusifs à long terme. Pendant la durée de ces contrats, Parkland et Pioneer peuvent à n’importe quel moment augmenter le prix de gros de l’essence qu’elles facturent aux détaillants tiers, et donc influer sur les prix au détail de l’essence fixés par ces détaillants. Pour cette raison, l’analyse du Bureau a dû tenir compte de la capacité de Parkland, après le fusionnement, à influer sur les prix aux points de vente au détail qu’elle approvisionne en essence pour maximiser les profits dans l’ensemble du réseau de stations qu’elle possède et dont elle assure l’approvisionnement.

À la suite du premier processus de médiation tenu dans le cadre d’une instance du Tribunal, le commissaire et Parkland ont conclu un consentement qui permet de régler les questions en litige relativement à la vente d’essence au détail dans huit marchés. Dans six de ces marchés, Parkland doit se départir d’une station‑service ou d’une entente d’approvisionnement en essence afin d’éliminer tout chevauchement résultant du fusionnement. Dans deux autres marchés, il est interdit à Parkland de hausser sa marge réalisée sur les ventes d’essence, ce qui lui enlève la capacité d’influer sur le prix au détail de l’essence dans ces marchés.

5. Conclusion

Les présentes observations donnent un aperçu de l’expérience du Bureau dans l’appréciation des compromis entre l’interdiction d’un fusionnement et la négociation de mesures correctives. Comme l’ont démontré les exemples que nous avons vus ci‑dessus, dans la grande majorité des cas, les mesures correctives structurelles demandées ou convenues par le commissaire donnent lieu au dessaisissement d’éléments d’actif, plutôt qu’à une interdiction pure et simple ou à une dissolution du fusionnement. Toutefois, il se produit des situations dans lesquelles l’interdiction ou la dissolution est nécessaire en l’absence de mesures moins attentatoires qui réussiraient à éliminer l’empêchement ou la diminution sensible de la concurrence.