Mémoire du Bureau de la concurrence présentée à l’OCDE concernant les prix excessifs des produits pharmaceutiques

Le 5 novembre 2018

Sur cette page :

  1. Introduction
  2. Politiques gouvernementales
  3. Promotion et application de la loi en matière de concurrence
  4. Conclusion

1. Introduction

  1. Au Canada, limiter le coût des produits pharmaceutiques est une préoccupation constante. En 2017, selon une étude effectuée par l’Institut canadien d’information sur la santé, les produits pharmaceutiques ont représenté 16,4 % des dépenses totales de santé, et ce poste de dépense est celui qui connaît la croissance la plus rapide parmi les trois principales catégories de dépenses en santé (les autres étant les hôpitaux et les services des médecins). Le rapport Panorama de la santé 2017 réalisé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) démontre que, parmi les pays de l’OCDE, le Canada occupe le cinquième rang en ce qui concerne les dépenses en produits pharmaceutiques au détail par habitant.
  2. Les soins de santé relèvent de la compétence provinciale au CanadaNote de bas de page 1. Toutefois, un système national de soins de santé a été créé à l’aide d’une loi fédérale qui accordait du financement aux provinces qui ont mis en œuvre un système public de soins de santé assorti d’une couverture universelle. La plus récente itération de cette loi est la Loi canadienne sur la santé (LCS). À l’exception des produits pharmaceutiques administrés dans les hôpitaux, la LCS ne traite pas du remboursement des produits pharmaceutiques. Dans leur profil sur la tarification des produits pharmaceutiques au Canada (en anglais seulement), Valérie Paris et Annalisa Belloni estiment qu’environ le tiers des Canadiens sont couverts par un programme financé par l’État, tandis que les deux tiers ont une couverture privée. Comme mentionné au sein du document de réflexion de Santé Canada intitulé Vers la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments, le coût croissant des produits pharmaceutiques au Canada a entraîné un nouveau débat sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments.
  3. À l’heure actuelle, le Canada compte principalement sur deux moyens pour limiter les prix excessifs des produits pharmaceutiques : (1) les politiques fédérales et provinciales visant à contrôler les prix des produits pharmaceutiques; et (2) les activités de promotion et d’application de la loi du Bureau de la concurrence visant à encourager la concurrence sur le plan des prix dans les marchés pharmaceutiques.

2. Politiques gouvernementales

2.1. Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB)

  1. Le CEPMB est un organisme quasi judiciaire indépendant établi par le Parlement en 1987 à la suite de modifications apportées à la Loi sur les brevets (articles 79 à 103). Le mandat du CEPMB est de protéger les intérêts des consommateurs canadiens en s’assurant que les médicaments brevetés ne sont pas vendus au Canada à des prix excessifs. Le CEPMB doit déclarer les tendances observées au chapitre des ventes de produits pharmaceutiques et de l’établissement des prix pour tous les médicaments, ainsi que les dépenses de recherche-développement des brevetés.
  2. L’approbation du CEPMB n’est pas requise avant qu’un médicament breveté puisse être vendu au Canada. Le personnel du CEPMB examine plutôt les prix de la première vente d’un médicament breveté sans lien de dépendance avec le breveté. Le CEPMB n’a pas de pouvoir concernant les médicaments non brevetés ni les prix des médicaments brevetés au-delà du prix départ-usine, comme les prix facturés par les grossistes ou les détaillants ou les honoraires professionnels des pharmaciens.
  3. Le personnel du CEPMB est responsable de l’examen des prix des médicaments brevetés et des enquêtes à cet égard. Il n’est pas lié sur le plan administratif aux membres du CEPMB, qui sont responsables de l’arbitrage. Si le personnel du CEPMB décèle un prix excessif potentiel, le CEPMB peut tenir des audiences publiques et ordonner une réduction de prix ou le remboursement des recettes excessives encaissées par le breveté.
  4. Le CEPMB ne prend pas explicitement en compte le pouvoir du marché en ce qui concerne les médicaments brevetés. Le paragraphe 85(1) de la Loi sur les brevets précise les facteurs dont le CEPMB doit tenir compte pour déterminer si un médicament breveté a été vendu à un prix excessif dans un marché au Canada. Ces facteurs sont les suivants :
    • le prix de vente du médicament sur un tel marché;
    • le prix de vente de médicaments de la même catégorie thérapeutique sur un tel marché;
    • le prix de vente du médicament et d’autres médicaments de la même catégorie thérapeutique à l’étranger;
    • les variations de l’indice des prix à la consommation (IPC);
    • tous les autres facteurs précisés par les règlements.
  5. En vertu de l’article 96 de la Loi sur les brevets, le CEPMB mène des consultations publiques et publie des Lignes directrices non contraignantes qui mettent en œuvre ces facteurs dans des tests visant à produire des prix plafonds non excessifs pour les médicaments brevetés. En vertu des Lignes directrices actuelles du CEPMB, le personnel du CEPMB évalue les nouveaux médicaments brevetés en fonction de leur avantage thérapeutique par rapport aux traitements existants et calcule un prix plafond en fonction des éléments suivants :
  6. Comme spécifié dans le Compendium des politiques, des Lignes directrices et des procédures du CEPMB, une fois que le médicament est lancé sur le marché, son prix de transaction moyen peut augmenter tout en respectant l’indice des prix à la consommation, mais il ne peut jamais être le prix le plus élevé des prix observés dans tous les autres pays de comparaison.
  7. Le Compendium explique également que lorsque le prix de transaction moyen d’un médicament breveté semble dépasser son plafond, le personnel du CEPMB lancera une enquête. Une enquête pourrait conduire à :
    • la clôture de l’enquête lorsque le personnel du CEPMB détermine que le prix ne semble pas excessif;
    • un engagement de conformité volontaire, en vertu duquel le breveté accepte de réduire le prix et de rembourser les revenus excédentaires au moyen d’un paiement ou d’une réduction additionnelle de prix;
    • une audience publique visant à déterminer si le prix est excessif.
  8. Comme démontré dans le rapport annuel 2017 du CEPMB, en 2017, les brevetés ont convenu de rembourser 35 millions de dollars en revenus excédentaires au gouvernement du Canada au moyen d’engagements de conformité volontaire soumis au CEPMB.
  9. En décembre 2017, le gouvernement du Canada a prépublié des propositions de modifications au Règlement sur les médicaments brevetés visant à moderniser le cadre de réglementation du CEPMB et à lui fournir des outils plus adéquats et plus efficaces pour protéger les Canadiens contre les prix excessifs des médicaments brevetés. Ces modifications comprennent trois autres facteurs réglementaires fondés sur l’économie qui permettront au CEPMB de tenir compte de la rentabilité, de l’incidence budgétaire et de la richesse nationale pour déterminer si un prix est excessif et d’un barème mis à jour de 12 paysNote de bas de page 3 à utiliser pour les comparaisons internationales des prix qui correspondent davantage aux prix médians de l’OCDE. Bien que la version définitive du règlement reste à publier, le CEPMB a établi le Comité directeur sur les Lignes directrices visant la modernisation du processus d’examen du prix et consulte actuellement les intervenants au sujet d’un cadre potentiel qui mettrait en œuvre les nouveaux facteurs réglementaires proposés avant d’élaborer des Lignes directrices révisées aux fins de consultation publique.

2.2. Alliance pharmaceutique pancanadienne (APP)

  1. L’APP est une initiative intergouvernementale qui a influé sur l’établissement des prix des produits pharmaceutiques au Canada. L’APP a été établie par les provinces et les territoires en 2010 pour accroître la valeur pour les programmes publics de médicaments et pour les patients grâce à l’utilisation du pouvoir de négociation combiné des administrations participantes. L’APP a pour mandat d’améliorer l’accès des patients à des options de traitement pharmacologique efficaces sur le plan clinique et par rapport aux coûts. Il remplit ce mandat en menant des négociations communes fondées sur l’avis d’experts concernant les médicaments, avec les fabricants de produits pharmaceutiques. L’APP est un effort de collaboration qui comprend la participation de tous les régimes publics d’assurance-médicaments au Canada et elle est appuyée par un bureau centralisé établi en 2015. Les objectifs de l’APP sont les suivants :
    • accroître l’accès aux options de traitement pharmacologique efficaces sur le plan clinique et par rapport aux coûts;
    • rendre les décisions plus uniformes parmi les administrations participantes;
    • parvenir à des coûts moindres et uniformes des médicaments pour les administrations participantes;
    • réduire les chevauchements et mieux utiliser les ressources.
  2. L’APP fournit donc aux provinces et aux territoires un moyen de tirer parti de leur pouvoir de négociation collective pour obtenir des prix plus bas des fabricants. L’APP estime que ses efforts ont permis de réaliser des économies combinées pour les administrations de 1,98 milliard de dollars par année au 1er avril 2018.
  3. Comme l’indique le tableau Portée du processus de l’Alliance pancanadienne pharmaceutique, le processus de négociation comporte habituellement les étapes suivantesNote de bas de page 4. D’abord, une fois que le Programme commun d’évaluation des médicaments, le Programme pancanadien d’évaluation des anticancéreux (PPEA) ou l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux publie une recommandation pour un produitNote de bas de page 5, l’APP décidera s’il convient d’entamer des négociations conjointes et le cas échéant, d’établir des objectifs communs. Une administration de l’APP peut décider de ne pas participer à une négociation particulière; dans de tels cas, elle s’engage à ne pas négocier individuellement avec les fabricants pharmaceutiques pour le produit. Deuxièmement, si l’APP décide d’entamer des négociations, une administration est alors choisie pour diriger les négociations au nom de l’APP et le fabricant est informé des autres administrations qui sont représentées. Troisièmement, si les administrations participantes et le fabricant concluent une entente, l’administration principale et le fabricant signeront une lettre d’intention contenant des modalités financières et cliniques importantes (p. ex. prix net confidentiel au moyen de rabais). L’APP a publié un gabarit guidant la création de ce genre de lettres d’intention (en anglais seulement). Enfin, chaque administration participante utilisera la lettre d’intention pour conclure avec le fabricant une entente d’inscription du produit propre à chaque administration (et non une négociation distincte ou ultérieure).
  4. Le 31 août 2018, l’APP a déclaré avoir mené 235 négociations conjointes sur les produits pharmaceutiques de marque. L’APP a également conclu des négociations conjointes sur les produits génériques. Le 29 janvier 2018, le Dr Eric Hoskins, ministre ontarien de la Santé et des Soins de longue durée, a déclaré que les négociations de l’APP permettraient d’établir, en date du 1er avril 2018, le prix de 70 des produits génériques les plus couramment prescrits au Canada à 10 % ou 18 % du prix du produit de marque équivalent.

3. Promotion et application de la loi en matière de concurrence

  1. La Loi sur la concurrence ne contient aucune interdiction de prix excessifs. Par conséquent, les activités de promotion et d’application de la loi du Bureau visent à protéger le processus concurrentiel plutôt qu’à faire respecter un résultat particulier sur le marché. Autrement dit, les travaux du Bureau ciblent la maladie (manque de concurrence) plutôt que les symptômes (prix excessifs). Cette approche fait en sorte que le Bureau n’est pas tenu d’adopter une réglementation des prix, ce qui est contraire aux principes traditionnels du droit canadien de la concurrence. Comme le démontre la description du CEPMB, la réglementation des prix des produits pharmaceutiques est un processus complexe qui diffère considérablement de l’application traditionnelle de la concurrence.
  2. La section suivante indique à quel moment le Bureau peut intervenir durant le cycle de vie d’un produit pharmaceutique pour faciliter une plus grande concurrence sur le plan des prix. Les sections suivantes fournissent ensuite des exemples des travaux du Bureau dans l’industrie pharmaceutique. Comme le révèlent ces sections, de nombreuses questions de concurrence découlent du cadre de réglementation régissant les produits pharmaceutiques.

3.1. Cycle de vie des produits pharmaceutiques et application de la loi en matière de concurrence

  1. Recherche et développement (R-D). La mise en marché d’un produit pharmaceutique peut obliger un fabricant à entreprendre une R-D coûteuse et risquée. Les fabricants voudront peut-être collaborer pour partager ces coûts et ces risques ou pour intégrer des technologies et des ressources complémentaires afin de faciliter la mise en marché plus rapide du produit. Toutefois, les ententes de R-D peuvent réduire la concurrence en éliminant l’incitation d’un fabricant à développer son propre produit. Comme il est indiqué dans les Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents du Bureau, pour déterminer si une entente de R-D pharmaceutique contrevient possiblement à l’article 90.1 de la Loi sur la concurrence, la disposition civile interdisant les accords anticoncurrentiels, le Bureau examine généralement :
    • le fait que l’entente soit conclue ou non entre des concurrents;
    • le fait que l’entente se limite ou non à la R-D ou prévoie aussi des dispositions sur l’exploitation commune des produits;
    • le fait que les parties à l’entente détiennent ou non une puissance commerciale dans le marché pertinent;
    • le fait que les restrictions à la concurrence soient raisonnablement nécessaires pour réaliser l’objectif de l’entente de R-D;
    • le fait que les éventuels effets anticoncurrentiels soient ou non neutralisés et surpassés par les gains en efficience engendrés par l’entente de R-D.
  2. Commercialisation. Dans le cadre d’une entente de mise au point conjointe d’un produit pharmaceutique, les fabricants peuvent aussi décider de commercialiser conjointement le produit. À l’instar des ententes de R-D, les ententes conjointes de commercialisation peuvent avoir des gains en efficience, comme le partage des coûts, des risques et du savoir-faire. Néanmoins, les ententes de commercialisation peuvent réduire la concurrence en matière de prix lorsque les fabricants s’entendent sur le prix du produit ou sur les territoires où chaque fabricant vendra le produit. Comme indiqué dans les Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents du Bureau, pour déterminer si une entente de commercialisation de produits pharmaceutiques contrevient à l’article 90.1, le Bureau se pencherait sur :
    • le fait que l’entente ait ou non été conclue entre des concurrents;
    • le fait que les parties à l’entente détiennent ou non une puissance commerciale;
    • le fait que l’entente traite ou non de conditions commerciales importantes sur le plan de la concurrence, comme le prix;
    • le fait que les parties puissent ou non commercialiser leurs produits à l’extérieur du cadre de l’entente ou conservent par d’autres moyens la capacité de faire concurrence de façon indépendante;
    • le fait que l’entente de commercialisation exige ou non la divulgation de renseignements délicats sur le plan de la concurrence entre les parties, ou crée ou non des possibilités en ce sens;
    • le fait que tout effet anticoncurrentiel soit ou non neutralisé et surpassé par les gains en efficience procurés par l’entente de commercialisation.
  3. Production. Une fois qu’un produit pharmaceutique obtient les approbations réglementaires nécessaires, les fabricants peuvent décider de participer à une production conjointe. Bien que la production conjointe puisse permettre de réaliser des économies de coûts, par exemple au moyen d’économies d’échelle ou de portée, elle peut aussi, dans certains cas, avoir des effets anticoncurrentiels. Par exemple, la production conjointe peut se traduire par des prix plus concurrentiels si elle réduit sensiblement la concurrence dans l’offre du produit. Comme le précisent les Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents du Bureau, pour déterminer si les ententes de production pharmaceutique contreviennent à l’article 90.1, le Bureau tient généralement compte des facteurs suivants :
    • le fait que l’entente soit ou non conclue entre des parties qui sont des concurrents ou des concurrents potentiels;
    • le fait que l’entente contienne ou non des dispositions qui limitent la production d’un produit pertinent, fixent les prix ou limitent par d’autres moyens la concurrence à l’égard d’aspects importants de la concurrence;
    • le fait que par ailleurs l’entente réduise ou non l’intérêt des parties à faire concurrence de façon indépendante ou leur capacité de le faire;
    • la mesure dans laquelle les parties à l’entente possèdent ou posséderont vraisemblablement une puissance commerciale (dans les marchés soit en amont, soit en aval);
    • le fait que les effets anticoncurrentiels soient ou non neutralisés et surpassés par les gains en efficience engendrés par l’entente.
  4. Avant l’entrée sur le marché du médicament générique. Lorsque le brevet d’un produit pharmaceutique de marque approche de la date d’expiration, un fabricant peut adopter diverses pratiques anticoncurrentielles pour empêcher la commercialisation de concurrents génériques afin de préserver sa puissance de marché. Les Lignes directrices sur la propriété intellectuelle (LDPI) du Bureau donnent l’exemple d’un fabricant de produits de marque qui pourrait procéder à une substitution de produit (transition difficile) en cessant de vendre un produit dont le brevet arrive à échéance afin de transférer des patients à un produit similaire bénéficiant d’un brevet plus long ou d’une protection de données plus longue. La substitution de produit (transition difficile) pourrait nuire à l’entrée d’un produit générique parce qu’il pourrait y avoir substitution par un produit générique pour le premier produit, mais pas pour le second. Cette pratique serait évaluée en vertu de l’article 79 de la Loi sur la concurrence, qui couvre les abus de position dominante. Les LDPI du Bureau donnent un autre exemple de pratique anticoncurrentielle : le cas d’un fabricant de produits de marque qui paie un producteur potentiel de génériques pour retarder l’entrée sous prétexte de régler un litige sur un brevet. Cette pratique a pour effet de faire en sorte que le fabricant de produits de marque et le producteur potentiel de génériques partagent les bénéfices supraconcurrentiels découlant du retard de la concurrence entre eux en matière de prix. En plus de violer potentiellement les paragraphes 79 et 90.1, dans des circonstances très limitées, la pratique pourrait violer l’article 45, les dispositions relatives au cartel criminel, par exemple lorsque le règlement empêche l’entrée après la date d’expiration du brevet, restreint la concurrence pour les produits qui ne font pas l’objet d’un litige en matière de brevets ou si les parties au règlement savent que le brevet est invalide ou qu’il n’est pas contrefait.
  5. Après l’entrée sur le marché du médicament générique. Même après la commercialisation des concurrents génériques, un fabricant de produits de marque peut être en mesure d’exploiter ses avantages en tant que titulaire pour adopter des pratiques anticoncurrentielles qui nuisent à l’expansion des produits génériques. Par exemple, compte tenu des bénéfices de monopole qu’il a gagnés pendant la période au cours de laquelle il avait la protection d’un brevet, un fabricant de produits de marque pourrait dissuader un concurrent générique de se tailler une place sur le marché en établissant des prix prédateurs. Par ailleurs, un fabricant de produits de marque pourrait tirer parti de sa base de patients existants qui, pour des raisons médicales, sont peu susceptibles de passer à un produit générique, pour décourager la concurrence pour les nouveaux patients. Il pourrait le faire en offrant des rabais aux assureurs pour sa base de patients existants, en échange de leur acceptation de ne pas diriger de nouveaux patients vers des produits génériques moins coûteux. Entre autres dispositions, ces pratiques seraient évaluées en vertu de l’article 79 pour déterminer s’il s’agit d’abus de position dominante.

3.2. Alcon Canada

  1. Un exemple remarquable des activités d’application de la loi du Bureau dans l’industrie pharmaceutique est l’enquête sur les agissements d’Alcon relativement à Patanol. En septembre 1997, Alcon a obtenu l’approbation de Santé Canada pour commercialiser Patanol, qui possédait deux brevets distincts portant sur son ingrédient médicinal et sa formulation. Le brevet sur l’ingrédient médicinal de Patanol a expiré le 21 novembre 2012, tandis que celui sur sa formulation a expiré le 3 mai 2016. Alcon a commencé à offrir Patanol sur le marché canadien en février 1998.
  2. En janvier 2011, Alcon a obtenu l’approbation de Santé Canada pour commercialiser Pataday et a commencé à le faire en avril 2011. Pataday possède le même ingrédient actif que Patanol, mais avec une formulation plus solide. La protection par brevet de Pataday expire en 2022.
  3. Lorsque Pataday et Patanol étaient initialement sur le marché simultanément, les ventes de Pataday étaient inférieures à celles de Patanol. En juillet 2012, Alcon a suspendu l’offre de Patanol au Canada, de sorte que les médecins ne pouvaient plus le prescrire. Par conséquent, les médecins ont commencé à prescrire Pataday qui, dans la grande majorité des cas, a remplacé les ventes de Patanol.
  4. En février 2010, Apotex a demandé à Santé Canada d’approuver la mise en marché d’une version générique de Patanol. En vertu de la réglementation canadienne, cela a déclenché un litige sur les brevets entre Apotex et Alcon et a entraîné un sursis de 24 mois à l’approbation de la demande d’Apotex par Santé Canada. Apotex n’a contesté le brevet relatif à la formulation de Patanol que lorsqu’elle a décidé d’attendre que le brevet sur l’ingrédient médicinal expire le 21 novembre 2012. Le 13 avril 2012, Alcon et Apotex ont réglé leur litige sur les brevets. Apotex a ensuite obtenu l’approbation de Santé Canada pour sa version générique de Patanol le 22 novembre 2012.
  5. Le Bureau a entrepris une enquête en novembre 2012 parce qu’il craignait que le comportement d’Alcon empêche l’entrée d’une version générique de Patanol. La conduite d’Alcon aurait pu nuire aux consommateurs en les forçant à payer Pataday, qui avait un prix plus élevé, plutôt qu’une version générique de Patanol. Après le début d’une enquête par le Bureau, Alcon a repris l’approvisionnement en Patanol en janvier 2013. En mai 2013, les ventes de Patanol étaient de nouveau en phase avec ses ventes avant le comportement d’Alcon. Les produits génériques ont pu entrer sur le marché et obtenir une part importante du marché d’Alcon. Par conséquent, le Bureau a mis fin à son enquête en mai 2014 après avoir constaté que la concurrence avait été rétablie sur le marché.

3.3. Teva/Allergan

  1. Le Bureau protège également la concurrence des prix sur les marchés pharmaceutiques en examinant les fusions. Un exemple remarquable est l’examen par le Bureau de l’acquisition par Teva du secteur d’activité pharmaceutique générique d’Allergan, qui a été annoncé le 27 juillet 2015Note de bas de page 6. L’examen du Bureau visait à déterminer si la transaction était susceptible de réduire sensiblement la concurrence dans les marchés où les deux parties sont des fournisseurs. Dans les cas où des produits des parties en étaient toujours à l’étape du développement, le Bureau a déterminé si la transaction était susceptible d’empêcher sensiblement la concurrence future.
  2. Conformément à son approche dans d’autres examens de médicaments génériques, le Bureau est d’avis que, dans le cas où les produits des parties contiennent la même molécule ou le même ingrédient actif et qu’ils sont offerts dans le même format, ils devraient généralement être considérés comme faisant partie du même marché de produits pertinent. Le Bureau a constaté que le marché géographique pertinent n’était pas plus grand que le Canada, car d’importants obstacles réglementaires limitent l’entrée au Canada de produits pharmaceutiques fabriqués à l’étranger.
  3. Pour chaque marché pertinent, le Bureau a examiné s’il y avait une concurrence réelle restante. Cette analyse consistait principalement à déterminer les fournisseurs restants de médicaments génériques équivalents à ceux des parties et tout fournisseur probable de médicaments génériques dans l’avenir. Le Bureau a aussi examiné si le médicament de marque demeurait sur le marché après l’arrivée des médicaments génériques, ainsi que la part de marché du médicament de marque par rapport aux génériques. Lorsque le Bureau a évalué les futurs fournisseurs potentiels, il a pris en considération des facteurs comme la probabilité, le caractère opportun et l’efficacité de l’entrée sur le marché.
  4. Le Bureau a cerné deux produits pour lesquels il a conclu que la transaction empêcherait ou diminuerait sensiblement la concurrence : la solution pour inhalation de tobramycine et les comprimés de buprénorphine/naloxone.
  5. La solution pour inhalation de tobramycine est utilisée pour le traitement de la fibrose kystique chez les patients ayant certaines infections pulmonaires chroniques. Teva a lancé une version générique de ce produit, au début de 2016, et Allergan était aussi en voie de mettre au point le produit. Le Bureau avait identifié un autre fournisseur potentiel de médicaments génériques, mais il a néanmoins conclu qu’il n’y aurait pas un nombre suffisant de futurs fournisseurs. La tobramycine est aussi offerte dans d’autres formats, notamment en solution ophtalmique, en onguent ophtalmique et en injection. Le Bureau a déterminé que la solution d’inhalation représentait un marché de produits distinct. Les professionnels de la santé décident souvent du format de médicament convenant le mieux à un patient en particulier. De plus, les prix des médicaments génériques sont habituellement fixés par rapport au prix historique des médicaments de marque dans le même format et ayant la même concentration. Par conséquent, le Bureau a déterminé que la transaction aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence dans l’approvisionnement en solution pour inhalation de tobramycine.
  6. La buprénorphine/naloxone est un comprimé utilisé comme traitement de substitution chez les adultes présentant une dépendance aux opioïdes. Teva est un fournisseur d’une version générique de ce médicament, à l’instar d’un autre fournisseur de médicaments génériques. Allergan était aussi en voie de développer le médicament. Par conséquent, le Bureau a conclu que l’opération entraînerait probablement une importante prévention de la concurrence dans l’approvisionnement en comprimés de buprénorphine/naloxone.
  7. Pour résoudre les préoccupations du Bureau concernant la concurrence, Teva a conclu une entente de consentement enregistrée avec le Bureau. Aux termes de l’entente, Teva devait se départir des actifs canadiens de l’une ou l’autre des parties en ce qui concerne la solution pour inhalation de tobramycine et les comprimés de buprénorphine/naloxone.

3.4. Étude du secteur canadien des médicaments génériques

  1. Le Bureau a également mené des activités de promotion de la concurrence concernant les produits pharmaceutiques. Le 28 septembre 2006, le Bureau a annoncé qu’il réaliserait une étude du secteur des médicaments génériques. Le Bureau a lancé ce projet en réponse à plusieurs études qui ont conclu que le prix des médicaments génériques sur ordonnance était plus élevé au Canada que dans d’autres pays.
  2. Pour mener l’étude, le Bureau a recouru à l’information accessible au public, aux données achetées à des fournisseurs de données et à l’information fournie volontairement par des participants sectoriels lors d’entrevues et de communications qui ont eu lieu de janvier à avril 2007.
  3. Le 29 octobre 2007, le Bureau a publié les résultats de l’étude. L’étude a révélé que même si l’offre de nombreux produits génériques fait l’objet d’une forte concurrence, les avantages de cette concurrence ne se manifestaient pas pour les consommateurs canadiens sous la forme de prix plus bas. Afin d’obtenir de l’espace sur les étagères des pharmacies, les fabricants de produits génériques ont offert des rabais ou d’autres paiements aux pharmacies dans la plupart des provinces. Ces rabais ou paiements représentaient en moyenne 40 % du prix facturé aux pharmacies. Dans la plupart des provinces, toutefois, les pharmacies étaient peu encouragées à faire profiter de ces économies à leurs clients. Pour que les consommateurs canadiens puissent mieux profiter des économies découlant de la concurrence touchant les produits génériques, plusieurs recommandations ont été formulées dans l’étude, notamment :
    • inciter les fabricants à se faire concurrence pour être inscrits sur les listes des régimes de médicaments;
    • recourir à des appels d’offres compétitives pour déterminer les produits qui pourront être délivrés aux pharmacies;
    • surveiller le prix net payé par les pharmacies pour les médicaments génériques afin de s’assurer que le prix payé par les régimes d’assurance-médicaments est compétitif;
    • accroître le rôle des régimes d'assurance-médicaments privés pour qu'ils obtiennent des prix plus bas pour leurs clients.
  4. Le 25 novembre 2008, le Bureau a publié un rapport de suivi intitulé Pour une concurrence avantageuse des médicaments génériques au Canada : Préparons l’avenir. Dans le rapport, le Bureau a proposé d’autres moyens par lesquels les assureurs privés et publics peuvent réaliser des économies accrues en raison de la concurrence entre les fabricants de produits génériques. Pour les assureurs privés, les recommandations comprenaient les suivantes :
    • mettre sur pied des réseaux de pharmacies prioritaires;
    • encourager un recours accru aux comptoirs pharmaceutiques postaux;
    • inciter les patients à rechercher les meilleurs prix.
  5. Le Bureau a notamment suggéré aux assureurs publics :
    • d’adopter des mesures visant à rembourser aux pharmacies le coût réel de leurs médicaments;
    • de faire en sorte que le remboursement du coût des médicaments soit distinct du remboursement du coût des services pharmaceutiques, comme la distribution des
    • médicaments et les conseils aux patients;
    • de supprimer les restrictions inutiles pesant sur la concurrence que se livrent les pharmacies;
    • de coordonner les politiques de fixation des prix des médicaments génériques et de remboursement afin de favoriser et d’assurer une réelle concurrence.

Conclusion

  1. Comme le démontre l’expérience du Bureau en matière de promotion et d’application de la loi, la concurrence dans l’industrie pharmaceutique est étroitement liée au cadre de réglementation qui régit l’industrie. Par conséquent, faciliter une concurrence accrue entre les fabricants de produits pharmaceutiques pourrait nécessiter des solutions réglementaires pour compléter l’application de la loi en matière de concurrence. Parmi les solutions possibles, mentionnons la réduction des obstacles réglementaires à l’entrée des produits génériques et des mesures pour que les fabricants ne puissent pas manipuler le processus réglementaire pour décourager la concurrence sur le plan des prix.