Énoncé du Bureau de la concurrence concernant son enquête sur le comportement anticoncurrentiel allégué d’Otsuka

GATINEAU, le 2 avril 2020 — Aujourd'hui, le commissaire de la concurrence a annoncé avoir mis un terme à une enquête, active pendant deux mois, sur un comportement d'Otsuka Canada Pharmaceutical Inc. (« Otsuka »), après qu'Otsuka eut pris des mesures pour répondre aux préoccupations du commissaire. Plus particulièrement, l'enquête du Bureau de la concurrence concernait des allégations selon lesquelles Otsuka aurait empêché un fabricant de médicaments génériques d'accéder à des échantillons de son produit de marque Jinarc (dont l'ingrédient actif est le « tolvaptan »), ce qui aurait empêché ou retardé l'entrée de médicaments génériques concurrents sur le marché, enfreignant ainsi les dispositions sur l'abus de position dominante prévues par la Loi sur la concurrence (la « Loi »). Il s'agit de la deuxième fois que le commissaire estime qu'il est approprié d'enquêter sur des refus de fabricants de médicaments de marque de fournir des échantillons.

Le Bureau a auparavant examiné la question du refus de fournir des échantillons de marque à des fabricants de médicaments génériques, comme l'expose un énoncé de position publié en décembre 2018Note de bas de page 1 (l'« énoncé de position de 2018 »), qui portait sur une enquête du Bureau sur des pratiques alléguées d'autres fabricants de médicaments de marque. Dans l'affaire décrite dans l'énoncé de position de 2018, le Bureau avait enquêté sur des politiques et des pratiques qui, selon les allégations, empêchaient les fabricants de médicaments génériques d'avoir accès à des échantillons de médicaments de marque déposée, aussi connus comme des produits de référence canadiens (« PRC »). Le Bureau a mis en garde l'industrie que le comportement allégué pourrait soulever de sérieuses préoccupations en vertu des dispositions sur l'abus de position dominante de la Loi et qu'il n'hésiterait pas à prendre des mesures immédiates en pareilles circonstances.

Comme l'énoncé de position de 2018 le précise davantage, les fabricants de médicaments génériques ne peuvent pas, s'ils n'ont pas accès à des échantillons de marque, effectuer des essais de bioéquivalence, ce qui a pour effet de les empêcher, dans bien des cas, d'obtenir l'autorisation réglementaire nécessaire pour commercialiser leur médicament générique. Par conséquent, la concurrence exercée par les fabricants de médicaments génériques est limitée si les fabricants de médicaments de marque peuvent empêcher ou retarder leur accès à des échantillons.

Les fabricants de médicaments génériques comptent généralement sur les essais cliniques effectués par les fabricants de médicaments de marque pour prouver la sécurité et l'efficacité des médicaments qu'ils produisent, ce qui leur permet de réduire sensiblement leurs coûts. C'est ce qui permet aux fabricants de médicaments génériques de livrer concurrence aux médicaments de marque en offrant des prix plus bas. Afin de trouver un juste milieu entre les incitatifs pour les fabricants de médicaments de marque à innover et les avantages de la concurrence exercée par les fabricants de médicaments génériques, le Bureau est déterminé à prendre les mesures nécessaires pour empêcher que les pratiques des fabricants de médicaments de marque empêchent les fabricants de médicaments génériques de livrer concurrence dans le marché.

Le Bureau remet de l'avant ses préoccupations importantes à l'égard de ce comportement et son engagement à répondre à ces préoccupations. La présente affaire a finalement été réglée peu après que le Bureau eut été impliqué, mais environ un an après la demande initiale d'échantillons présentée par le fabricant de médicaments génériques. Après qu'Otsuka eut fourni le médicament Jinarc au fabricant de médicaments génériques, à la suite de l'intervention du Bureau, et une fois que les échantillons eurent été fournis de manière satisfaisante, le Bureau a mis un terme à son enquête. Malgré ce résultat, le Bureau demeure très préoccupé par le comportement qui se répète dans l'industrie.

Le Bureau continuera de surveiller l'industrie pharmaceutique afin de détecter tous les comportements qui empêchent ou retardent la fourniture d'échantillons de médicaments de marque aux fabricants de médicaments génériques. Étant donné qu'il s'agit de la deuxième fois que le Bureau fournit une orientation à l'industrie relativement à cette question, les fabricants de médicaments de marque devraient comprendre que le Bureau prendra les mesures nécessaires, y compris solliciter des sanctions administratives pécuniaires, même si des échantillons sont ultimement fournis, pour traiter des comportements passés où la preuve atteste que la Loi est concernée. Étant donné l'orientation fournie par le Bureau et celle de Santé Canada dont il est question ci-après, les fabricants de médicaments de marque devraient s'attendre à ce que le Bureau traite avec une grande dose de scepticisme toute justification d'un défaut de fournir en temps opportun des échantillons aux fabricants de médicaments génériques.

Si des fabricants de médicaments génériques sont confrontés à des problèmes similaires à l'avenir, le Bureau les encourage à lui transmettre leurs préoccupations rapidement.

1. L'enquête

a. Jinarc et son plan de gestion des risques

Jinarc est le seul traitement médicamenteux autorisé au Canada pour traiter la polykystose rénale autosomique dominante (« PRAD »), une maladie génétique qui fait en sorte que de nombreux kystes se développent aux deux reins, provoquant une néphromégalie et diminuant les fonctions rénales. Jinarc est prescrit comme traitement afin de ralentir la progression de la néphromégalie et du déclin des fonctions rénales pour les patients souffrant de la PRAD.

Étant donné le risque de lésions hépatiques en raison des effets secondaires du médicament, Jinarc est accompagné d'un plan de gestion des risques (« PGR »). Le PGR de Jinarc comprend un programme de distribution contrôlée, appelé programme contrôlé de distribution et de surveillance de l'innocuité hépatique, exigé par Santé Canada avant de commercialiser le médicament. De ce fait, Jinarc n'est disponible au Canada que par l'entremise d'Otsuka et de son distributeur tiers autorisé (le « distributeur d'Otsuka »).

L'interprétation du Bureau est que, en date du 25 juillet 2019, aucun brevet ni autre droit de propriété intellectuelle ne s'appliquait à Jinarc de manière à nuire à l'octroi des autorisations commerciales à un fabricant de médicaments génériques.

b. Demande venant de six résidentsNote de bas de page 2

En octobre 2019, le Bureau a reçu une demande venant de six résidents qui alléguaient qu'Otsuka limitait l'accès d'un fabricant de médicaments génériques à des échantillons de Jinarc nécessaires pour obtenir les autorisations réglementaires, retardant ainsi l'arrivée sur le marché d'un équivalent générique à Jinarc. Le commissaire a entamé une enquête le 11 octobre 2019.

L'enquête du Bureau portait sur la façon dont Otsuka traitait les demandes d'échantillons de Jinarc par le fabricant de médicaments génériques. Plus spécifiquement, l'enquête du Bureau s'est attardée sur les retards et le défaut de fournir le médicament au fabricant de médicaments génériques en réponse à des demandes déposées d'abord auprès du distributeur d'Otsuka, puis directement à Otsuka, comme il est décrit ci-après.

Le 12 décembre 2019, le Bureau a présenté une demande d'ordonnance en vertu de l'article 11 de la LoiNote de bas de page 3 afin d'obtenir davantage de renseignements de la part d'Otsuka. La demande a été suspendue le 19 décembre 2019, à la condition qu'Otsuka fournisse Jinarc au fabricant de médicaments génériques d'ici la fin du mois de janvier 2020, ou à une date ultérieure à la demande du fabricant de médicaments génériques. Le 18 février 2020, la demande en vertu de l'article 11 a été retirée après que le fabricant de médicaments génériques eut confirmé avoir reçu une quantité suffisante de Jinarc pour servir ses fins. Le 6 mars 2020, le Bureau a mis un terme à son enquête.

c. Ligne du temps du comportement allégué

L'enquête du Bureau a pu confirmer que, depuis février 2019, le fabricant de médicaments génériques avait tenté à de nombreuses reprises d'obtenir des échantillons de Jinarc auprès du distributeur d'Otsuka. Selon ce qu'a pu comprendre le Bureau, les demandes du fabricant de médicaments génériques ont été transmises à Otsuka par son distributeur en quelques semaines. Malgré tout, le fabricant de médicaments génériques n'a pas reçu les échantillons demandés du distributeur d'Otsuka.

Le fabricant de médicaments génériques a alors cherché à obtenir des échantillons de Jinarc auprès d'Otsuka à partir de mai 2019. Au cours de l'été 2019, Otsuka a fait part de ses préoccupations quant à la fourniture de Jinarc au fabricant de médicaments génériques dans diverses communications avec le fabricant de médicaments génériques. Ses préoccupations concernaient les mesures d'atténuation des risques établies dans le PGR de Jinarc, de même que la question de savoir si la fourniture d'échantillons de Jinarc au fabricant de médicaments génériques enfreignait les dispositions du PGR. Otsuka a également signalé qu'elle devait clarifier certains aspects auprès de Santé Canada afin de veiller à ce que la fourniture de Jinarc soit conforme aux lignes directrices de Santé Canada et à l'avis publié le 4 juillet 2019 (l'« avis de juillet 2019 »)Note de bas de page 4, comme expliqué ci-après.

Au fil des événements qui ont précédé l'implication du Bureau dans cette affaire, Santé Canada a publié l'avis de juillet 2019 au sujet des PGR à l'intention des fabricants et des promoteurs de médicaments. L'avis de juillet 2019 précisait que « [l]es éléments d'un PGR, comme les programmes de distribution contrôlée, ne visent pas à restreindre l'accès des fabricants de médicaments génériques aux PRC en vue d'essais comparatifs ». Après la publication de l'avis de juillet 2019, Otsuka a continué de soutenir qu'elle était incertaine si la fourniture d'échantillons de Jinarc à un fabricant de médicaments génériques pouvait enfreindre les dispositions de son PGR, puisque Jinarc était concerné par un PGR très strict de l'avis d'Otsuka.

Malgré les préoccupations soulevées par Otsuka quant à la fourniture de Jinarc à un fabricant de médicaments génériques, le Bureau comprend qu'Otsuka n'a pas pris de mesures significatives pour obtenir des précisions auprès de Santé Canada avant novembre 2019, plusieurs mois après les demandes initiales du fabricant de médicaments génériques pour obtenir des échantillons de Jinarc et seulement après que le Bureau eut été impliqué dans cette affaire. Une fois qu'Otsuka a communiqué et discuté avec Santé Canada, le ministère a confirmé en décembre 2019 qu'Otsuka n'enfreindrait pas son PGR en fournissant des échantillons de son produit médicamenteux au fabricant de médicaments génériques afin qu'il effectue les essais comparatifs nécessaires. Otsuka s'est par la suite engagée à fournir des échantillons de Jinarc au fabricant de médicaments génériques d'ici la fin du mois de janvier 2020, ou à une date ultérieure à la demande du fabricant de médicaments génériques.

2. Analyse

Tout comme il l'a fait pour l'énoncé de position de 2018, le Bureau a pris en considération ces allégations en vertu des dispositions sur l'abus de position dominante de la Loi. Il y a abus de position dominante lorsqu'une entreprise dominante ou un groupe d'entreprises dominantes sur un marché se livre à une pratique d'agissements anticoncurrentiels, ce qui a pour effet que la concurrence a été ou sera vraisemblablement empêchée ou diminuée sensiblementNote de bas de page 5.

Puisque l'affaire a été réglée dans les premières étapes de l'enquête, il n'a pas été nécessaire que le Bureau prenne d'autres mesures. Toutefois, les faits tels que compris par le Bureau soulevaient d'importantes préoccupations en vertu des dispositions sur l'abus de position dominante de la Loi.

a. Position dominante

L'avis préliminaire du Bureau était que le marché géographique pertinent est à l'échelle nationale et que le marché de produit est restreint aux médicaments contenant du tolvaptan aux fins de traitement de la PRAD, c'est-à-dire Jinarc et tout équivalent générique, ce qui concorde avec l'approche détaillée dans l'énoncé de position du Bureau de 2018. Dans ce cas-ci, le fait que Jinarc soit le seul médicament autorisé pour traiter la PRAD a renforcé la définition du marché de produit, puisqu'il n'existe aucun substitut pharmaceutique commercialisé au Canada.

Otsuka est le seul fabricant de médicaments qui commercialise le tolvaptan au Canada et se trouve donc actuellement en situation de monopole dans le marché pertinent. De ce fait, l'avis préliminaire du Bureau est qu'Otsuka possède un degré sensible de puissance commerciale dans le marché pertinent.

b. Une pratique d'agissements anticoncurrentiels

L'avis préliminaire du Bureau est qu'Otsuka semble avoir pris part à une pratique d'agissements anticoncurrentiels, en particulier en tenant compte du défaut d'Otsuka de répondre à ses préoccupations relatives à la fourniture de Jinarc à un fabricant de médicaments génériques en temps opportun, et ce, malgré la publication de l'avis de juillet 2019 de Santé Canada.

L'avis préliminaire du Bureau est qu'il était raisonnablement prévisible que les retards et le défaut d'Otsuka de fournir des échantillons du médicament au fabricant de médicaments génériques auraient eu un impact négatif et un effet d'exclusion sur un concurrent. Le Bureau est d'avis que ces agissements montraient une intention anticoncurrentielle, particulièrement après qu'il eut clairement indiqué dans son énoncé de position de 2018 que ces agissements soulevaient des préoccupations en vertu de la Loi. Étant donné cet élément de preuve de l'intention anticoncurrentielle, le Bureau a considéré des justifications potentielles du comportement d'Otsuka, en tenant compte à la fois des raisons données par Otsuka pour les retards et son défaut de fournir des échantillons de Jinarc au fabricant de médicaments génériques, de même que le temps qu'il a fallu à Otsuka pour prendre des mesures qui répondent à ses préoccupations relativement à la fourniture des échantillons.

Comme décrit ci-dessus, l'une des raisons données par Otsuka pour ne pas fournir des échantillons au fabricant de médicaments génériques était le PGR auquel est assujetti Jinarc. Le Bureau n'est pas d'avis que cette justification est convaincante étant donné la publication et la clarté de l'avis de juillet 2019 de Santé Canada. Dans tous les cas, même si Otsuka nécessitait plus de précisions que celles présentées dans l'avis, les renseignements recueillis suggèrent qu'Otsuka a attendu plusieurs mois avant de prendre contact avec Santé Canada pour obtenir des précisions, et ce, malgré les demandes répétées d'échantillons formulées par le fabricant de médicaments génériques. De l'avis du Bureau, ce fait mine d'autant plus la justification donnée pour refuser de fournir des échantillons.

Étant donné que la question s'est réglée tôt dans le processus d'enquête, le Bureau n'a pas approfondi son examen des autres justifications données par Otsuka en ce qui concerne les retards et le défaut de fournir Jinarc au fabricant de médicaments génériques, notamment les préoccupations en matière de responsabilité. Le Bureau évaluera le fondement objectif des préoccupations en matière de responsabilité et de risques relatifs à la réputation en fonction du fait que les protocoles d'essais de bioéquivalence sont généralement révisés et autorisés à l'avance par les autorités réglementaires afin de veiller à ce que les normes de sécurités appropriées soient en place.

c. Diminution ou empêchement sensible de la concurrence

De manière générale, les médicaments génériques sont vendus à un prix sensiblement plus bas que les médicaments de marque et grugent une quantité importante des ventes des médicaments de marque lorsqu'elles sont commercialisées. Généralement, le premier médicament générique introduit dans le marché est offert à 85 % (ou moins) du prix de la marque. Le Bureau n'a pas de renseignements qui suggèrent que le premier produit générique de tolvaptan sur le marché n'offrirait pas une diminution similaire du prix de Jinarc.

Il est raisonnable de penser que l'entrée d'un médicament générique a été retardée d'environ 11 mois par rapport à une entrée plus rapide si le fabricant de médicaments génériques avait reçu les échantillons à sa première demande auprès du distributeur d'Otsuka, et qu'elle aurait été retardée davantage si la fourniture suffisante d'échantillons n'avait pas été faite peu après que le Bureau eut été mis au courant du comportement et a entamé son enquête. Le Bureau n'a pas entièrement confirmé l'effet vraisemblable sur les prix ou l'ampleur du retard, mais, s'ils s'avéraient, ces faits sembleraient correspondre à un empêchement sensible de la concurrence.

3. Conclusion

Le commissaire a pris la décision de mettre fin à son enquête après qu'Otsuka eut fourni des échantillons de Jinarc au fabricant de médicaments génériques. Le Bureau note que les renseignements précis et crédibles décrits dans la demande venant de six résidents lui ont permis d'agir rapidement dans cette affaire, comme le prouve la présentation opportune d'une demande d'ordonnance en vertu de l'article 11 afin de recueillir davantage de renseignements auprès d'Otsuka.

Dans l'éventualité où surviendrait une autre situation qui semble indiquer un préjudice en matière de concurrence en raison du défaut d'un fabricant de médicaments de donner accès à des échantillons de son produit de marque à des fabricants de médicaments génériques, ou de tout autre comportement d'exclusion de concurrents, le Bureau n'hésitera pas à prendre les mesures appropriées.